"Le sang versé " , Faux Polar nordique...

Le sang Versé, Asa Larsson


Pour écrire des romans policiers, il faut être curieux de cette ligne imperceptible qui sépare la lumière de l'obscur. Pour écrire de bons romans policiers, il faut en outre avoir un style, une méthode qui se distingue des autres...
En entrant dans le roman d'Asa Larsson, je n'ai pu m'empêcher de grimacer: une scène d'exposition avec un meurtre brutal et un assassin très sombre dont on ne sait rien... une approche classique de polar anglo-saxon ou de feuilleton américain. S'ensuit une longue, très longue, interminable scène de cocktail où l'on découvre les malaises psychologiques de Rebecka Martinsson mais qui aurait mérité une coupe franche de la part de l'éditeur . Bref l'ouverture du texte est assez ratée de mon modeste point de vue d'auteur et je m'attendais au pire pour la suite...
Et puis le style de Larsson se déploie. Et c'est moins à un roman policier qu'à une fresque du grand Nord à laquelle on assiste. Ici, l'enquête sur le meurtre d'une femme pasteur est presque un prétexte pour mettre en scène une région et des dizaines de personnages très typés. Comme dans une crèche napolitaine du siècle dernier, on croise des "sales gueules" ( les membres du cercle de chasse), des ecclésiastiques tourmentés et veules, le snack chez Micke qui fait penser à une petit snack d'Alaska avec ses habitués, sa serveuse sexy au grand cœur , Mimi, la mère quinquagénaire de cette dernière, Lisa, qui cache un lourd secret , le restaurateur, et tout un aréopage de clients dont le très attachant Nalle, le simple d'esprit de la crèche... Et bien sûr, comme dans toute crèche qui se respecte, il y a les animaux: des chiens à profusion avec chacun son caractère, des chats qu'on maltraite et même une louve sauvage... Et tout ce petit monde s'anime de manière complexe, interagit, se souvient ( et le texte passe alors au présent de narration). Si l'on resserre le cercle, il y a les Femmes , une profusion de femmes ( Rebecka bien sûr, mais aussi Lisa, Mimi, Mildred, Anna Maria, Kristin la névrosée et toutes les femmes de l'association Magdalena ...même le loup est une femelle! ) qui sont au centre de ce roman terriblement féminin et féministe. Et cela je l'ai adoré! . Ici, l'enquête est presque un prétexte comme le crime, d'ailleurs, pour parler de la Femme suédoise, avec un grand F, voire de la femme tout court. Femmes figurantes (les femmes battues de l'association Magdalena) , femmes en second rôle( Lisa, Mimi... ) , femme en premier rôle (Anna Maria et Mildred la victime) et enfin il y a Rebecka dont le rôle n'est que de cacher l'auteur elle-même à la manière d'un déguisement assez simpliste mais attachant .
Si j'avais la chance que ce message arrive, par magie, jusqu'à Kiruna, je dirais à Asa Larsson que de mon point de vue d'auteur je vois modestement quelques fausses notes dans son œuvre, il en faut toujours:

- Pourquoi avoir réutilisé le personnage de Rebecka Martinsson dans ce texte alors qu'elle n'est qu'un prétexte et un masque pour vous? Ce personnage vous oblige à vous positionner par rapport à l'œuvre précédente et égare le lecteur qui n'aurait pas lu le premier roman ( ce qui est mon cas) N'auriez vous pas gagné à créer un autre personnage plus vierge par rapport à votre œuvre antérieure?
- N'y a t il pas un peu trop de personnages , ici, ce qui tend à diluer l'intrigue dans des dizaines de portraits et de flash back d'une inégale valeur ?
- L'histoire secondaire de la louve Gula Ben vous tient à cœur, on le comprend bien, mais qu'apporte-t-elle au récit? Doit on la percevoir comme une métaphore animale de l'intrigue principale? Pour ma part je la trouve ou en trop ou insuffisamment fondue dans le texte principal.
- Êtes vous sûre qu'un chien puisse détecter un cadavre sous l'eau? ( meurtre du pasteur ) Même pour un chien très talentueux, l'eau dilue trop les odeurs pour que ce soit possible. Si c'était envisageable, bien des énigmes criminelles pourraient être élucidées( surtout en Italie où la tradition de se débarrasser des ennemis en les jetant à l'eau lestés d'un bloc de béton est un sport national) ! C'est une invraisemblance gênante car elle arrive à un point crucial de l'œuvre...
- Dès le début, ou presque, j'avais deviné le coupable , à tel point que je n'ai cessé d'espérer, jusqu'à la fin, un retournement de situation ou une surprise... mais non! Et cela m'a laissé sur ma faim, mais j'ai bien compris que ce n'était pas l'essentiel de ce texte.
"Le sang versé" n'est pas vraiment un polar ou un thriller psychologique mais la fresque nordique d'une femme qui parle de femmes, en butte à l'incompréhension et à la violence des hommes, et qui se révoltent, s'insurgent, se jalousent ou s'aiment. C'est ce qui en fait un roman tellement différent que j'ai lu et relu en quelques jours . Et un livre que j'aurais aimé savoir écrire tant il est habilement tissé avec force et une belle violence.
B. CHAVANEAU

BenoitChavaneau
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le 23 oct. 2015

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