Une farce jubilatoire, dont l'intrigue se déroule dans l'univers du cinéma mais qui vise sans doute plus généralement celui du business de la culture, qui opère souvent en synergie avec celui des bons sentiments. Un ton finalement assez proche de celui d'un certaine catégorie de films belges (wallons, en l'occurrence), par exemple de ou avec Bouli Lanners. Filiation qui n'est guère surprenante, puisque Liberski est lui-même wallon et que le titre du bouquin parle de lui-même quant au lieu où l'intrigue se déroule.


Bouquin construit autour de l'extraordinaire personnage de Loïc Petitjean, obscur réalisateur de films engagés et véritable condensé, caricatural, d'une certaine bourgeoisie implantée dans le milieu culturel, et cherchant à faire son beurre de la misère de monde, en jouant sur les bons sentiments, de manière outrageusement consensuelle. D'une certaine manière, un peu l'archétype de bourgeois auquel s'adresse, avec virulence, Bégaudeau dans "Histoire de ta bêtise". Mais si le bourgeois de Bégaudeau reste un interlocuteur abstrait, qui n'agit et ne répond jamais, Liberski nous dépeint, avec une exquise cruauté, son personnage en pleine action. Et ce n'est pas joli joli, le gusse oscillant allégrement entre le grotesque et l'ignoble, pour en définitive en réussir la parfaite synthèse.


Ce Petitjean serait-il un adepte du désormais tristement célèbre "en même temps" ? Oui sans aucun doute si l'on considère le décalage, que dis-je le caractère diamétralement opposé, entre son discours et ses postures publiques, d'une part, et ses actes, d'autre part. Pour les premières, un véritable pot-pourri des indignations en vogue dans la bourgeoisie qui s'affiche à gauche : migrants, sans-papiers, féminisme, libertés individuelles, droits des homosexuels, mais, bien entendu, jamais la moindre question sociale. Avec quelques détails succulents, qui viennent parachever le tableau : la lecture de Libé le matin, avec le premier café de la journée, n'étant pas le moins drôle de ceux-ci.


Pour les seconds, les actes donc, c'est moins reluisant. Petitjean est radin, inconstant, peu fiable, machiste voire obsédé sexuel et arrogant. Il traite ses subordonnés comme des merdes, alors qu'il tient en même temps des discours inverses. Il est arriviste au plus haut point et prêt à tout, mais alors vraiment à tout, pour faire réussir son film. Il ne supporte pas l'opposition au sein de son équipe et se met constamment en avant. Et, enfin, ses discours humanistes sont complétement calculés (il les élabore en son for intérieur avec le plus total cynisme), au sens où ils sont entièrement dédiés à faire aboutir ses ambitions personnelles.


Je ne saurai dire, bien entendu, si Loïc Petitjean est inspiré d'un personnage réel. Mais si c'est le cas, autant dire que celui-ci s'en prend plein la gueule, et que, je dois bien l'admettre, j'ai trouvé ça très drôle. A côté de cela, si l'on considère que ce bouquin prend son ancrage dans la réalité, le portrait qui est fait de l'artiste engagé au 21ième siècle est plutôt à pleurer qu'à rire. Parce que les causes qu'il défend sont devenues un marché, parce qu'il se comporte comme un acteur de ce marché et déploie à cet égard un arsenal de techniques marketing (avec, bien sur, une maladresse cocasse s'agissant de Petitjean, mais le succès peut aussi tenir au hasard). Et qu'il s'avère en définitive que sa réussite personnelle est à ses yeux une fin, les causes défendues n'étant qu'un moyen au service de celle-ci. Le néo-libéralisme aurait-il également contaminé le monde de la culture ?


Il serait néanmoins hasardeux, évidemment, de généraliser ce que ce bouquin met en exergue. Rappelons que ce n'est qu'un pamphlet dont la bouffonnerie est parfaitement assumée. Il a toutefois le mérite de questionner, de façon, je le crois, pertinente surtout si l'on considère en parallèle le silence assourdissant des nantis du monde de la culture relativement aux multiples questions sociales qui se posent actuellement en Europe occidentale.

Marcus31
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le 5 août 2019

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