Sous forme de chapitres courts aux phrases très longues, « Les effondrés » dresse le portrait de protagonistes clés de la crise économique de 2008, jamais nommés, et de l’abîme dans lequel cette crise les a plongé, eux qui tombent de très haut. Il y a les très connus, Alan Greenspan, Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, Bernard Madoff, et d’autres moins connus, avec en fil rouge la confession d’un milliardaire, qui, contemplant sa fortune qui s’envole en fumée devant les eaux calmes du lac Léman, revient pour la première fois sur la trajectoire de sa vie.

Lire « Les effondrés » sur un coin de table, d’un œil distrait ? N’y songez pas. Ce livre requiert toute votre concentration pour entrer dans le rythme de ces phrases fleuves à arborescences multiples, qui agissent comme autant de double-fonds, de commentaires ironiques et d’explorations du spectacle qui se joue sous nos yeux.

La récompense est à la hauteur de l’effort, c’est un texte somptueux, envoûtant qui donne, loin de l’agitation de l’actualité, une ampleur mythologique et fascinante à l’effondrement idéologique du dogme libéral révélé par cette crise, au destin de ses protagonistes qui semblent non pas frénétiquement agités mais pensifs, en état de sidération devant la trajectoire de leur propre chute ; un texte qui met en exergue leurs dénégations devant l’écroulement de cette idéologie (excepté pour Greenspan lors de son audition devant le Congrès, scène fondatrice qui m’a vraiment fait entrer dans le livre), qui souligne le rejet de la responsabilité sur une clique de voyous symbolisé par le plus grand escroc de cette bande, Madoff, dissimulant ainsi qu’on assiste ici non pas au naufrage du Titanic mais au « naufrage de l’idée même de navigation ».

Il est très difficile d’extraire une citation de ce texte, je retiens celui-ci de la scène avec Greenspan évoquée plus haut…

« et à l’homme de cire qui lui demanda, brutalement, avec une feinte candeur qui en d’autres époques l’aurait fait passer pour un illuminé irresponsable ou pour un adolescent rebelle, un peu turbulent et provocateur, s’il convenait de ce que sa vision du monde, son idéologie, n’était "pas la bonne", ne fonctionnait pas, on entendit le maître répondre – et sans doute furent-ils, à l’instant précis où ces mots franchirent ses lèvres, nombreux ceux dont le sang se glaça, nombreux ceux qui guettèrent autour d’eux, sur d’autres visages, les réactions les assurant qu’ils n’avaient pas été victimes d’un problème acoustique, que la scène pour ainsi dire surréaliste ,impensable à laquelle ils assistaient avait bel et bien lieu – que, oui, absolument, il s’était rendu compte que pendant quarante ans il avait appliqué une idéologie et que celle-ci avait échoué, qu’il avait constaté "une faille dans l’idéologie capitaliste", dont il ne savait pas à quel point elle était significative ou durable, mais qui l’avait plongé dans un profond désarroi. »

Un livre magnifique.
MarianneL
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le 1 oct. 2012

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MarianneL

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