Près de dix ans après son dernier livre (La séparation, paru en anglais en 2002 et en français en 2005 dans la même collection), Christopher Priest nous revient, cette fois dans le cadre de l’Archipel du Rêve, déjà utilisé dans un roman (La Fontaine Pétrifiante, 1981) et dans un recueil (L’Archipel du Rève, regroupant des nouvelles parues entre 1978 et 1980).

Pour ce troisième passage dans l'archipel (qui peut se lire independamment des deux premiers), la forme est plus originale : présenté comme un guide de voyage, Les Insulaires nous emmène sur plus d’une cinquantaine d’iles, se contentant pour la plupart d’une description des phénomènes physiques (les vents remarquables), de sa faune (un insecte particulièrement dangereux en face duquel un scorpion survit quelques secondes), des personnes y ayant habité ou des événements importants s’y étant déroulés. Seule une minorité de textes prennent une forme romancée, brisant le rythme du guide, rappelant au lecteur qu’il est dans un roman de Christopher Priest, que ça ne peut pas être aussi simple.

Dès l’introduction signée Chaster Kammeston (dont on découvre plus tard qu’il est certainement mort de nombreuses années avant la rédaction du guide), nous sommes prévenus : on ne sait pas combien d’îles composent l’archipel, on n’est pas capable d’établir de carte, des îles situées dans des lieux opposés ont des noms étrangement similaires, bref, le guide ne peut être qu’un amalgame de faux-semblants. Et ce trouble s’étend aux parties romancées : plusieurs personnages ont des doubles, des sosies ou des ressemblances dont ils jouent. Des récits, relayés d’une façon qui semble objective, se tordent ensuite sans s’expliciter. Des liens ténus ou forts apparaissent entre les textes, sans que l’on puisse déterminer s’ils sont utiles à la compréhension du roman, voire même si leur présence est voulue ou accidentelle. L’auteur profite du cadre strict qu’il s’est imposé pour jouer avec le lecteur, le baladant d’une île à l’autre, d’une histoire à l’autre, d’une réalité à d’autres.

Alors certes, les lecteurs ayant une conception rigide du récit risquent d’être déroutés par Les Insulaires, voire de passer à côté. Mais pour ceux qui acceptent de se faire chahuter, et évidemment pour les amateurs des autres romans de Christopher Priest, la croisière dans cet archipel se révélera passionnante.
rmd
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le 7 oct. 2013

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