Des hypohèses et de la prudence

On remonte un peu le temps après le temps sacré des cavernes de Gwenn Rigal lu l'année dernière dans lequel l'auteur recensait les différentes hypothèses concernant les peintures pariétales.
André Leroi-Gourhan a écrit ce livre en 1964. Il faut le remettre dans le contexte. Il désire faire un peu le point sur les connaissances de l'époque sur ce que l'on sait des religions: préhistoriques: à peu près rien. Il ya des traces, les fouilles sont faites mais les interprétations sont souvent abusives si ce n'est erronées et subjectives quand elles ne collent pas trop à l'étude anthropologique des peuples dits premiers. Face aux à ces interprétations erronées (cultes des ours, des mandibules...), Leroi-Gourhan propose bien souvent des réfutations et une comparaison qui revient régulièrement: que penserait un extra terrestre ou un humain de la religion catholique dans 50 000 ans s'il ne devait faire reposer son interprétation que sur les représentations du Christ en croix et des martyrs?

"Notre exemple familier du voyageur sidéral servira une fois encore : s'il observait le déroulement d'une
messe sans rien savoir du christianisme, il rapporterait sur sa planète un récit qui ne ferait certainement pas
l'édification des intellectuel de l'endroit ; il aurait noté en tout cas que les chrétiens se livrent à des séries de gestes
très bizarres, curieusement stéréotypés, sans signification apparente, pour terminer par une opération de magie
imitative probablement destinée à assurer la croissance du blé, puisqu'ils mangent le simulacre du pain. Autant
renoncer à parler de religion préhistorique si c'est pour suivre la même voie. Mais allons plus loin, imaginons notre être sidéral examinant l'église, constatant qu'il y a plusieurs tables semblables dans différents endroits, des objets représentant un homme blessé, écartelé sur une croix, le même homme figure dans une suite de tableaux le long des murs, dans différentes attitudes et avec différents personnages ; quel lien établirait-il entre le repas simulé et l'homme torturé ? La chaîne de concepts indispensable, cette image qui assure l'insertion du chrétien dans l'univers naturel et surnaturel étant absente, qu'aurait-il pour faire de nous autre chose que des squelettes ? Supposons qu'il soit patient : il examinerait vingt, cent église et finirait par s'apercevoir que les témoins matériels correspondent à un système cohérent, que les bâtiments sont orientés, que leurs partie sont constantes, que les croix et les tableaux répondent à un thème bien fixé. Jamais il ne restituerait la pensée chrétienne et l'Évangile, mais il parviendrait à affirmer qu'il a a quelque chose de symboliquement élevé derrière ces témoins incompréhensibles. Il parviendrait sans doute à une reconstruction étonnamment fausse de la religion des chrétiens, mais il affirmerait que ces gens possèdent une cosmogonie très charpentée et de idées assez poussées
sur l'alternance de la vie et de la mort."

Dans ce livre Leroi-Gourahn y expose sa thèse du coupalge des animaux (mâle et femelle), théorie qui j'imagine est elle aussi aujourd'hui sujette à caution.
La langue est pédagogique et souvent empreint d'humour (à propos des statuettes d'animaux:

"Les statuettes d'animaux n'ont pas beaucoup excité l'attention des théoriciens, mais il existe, sur les statuettes féminines, une littérature débordante et l'on a parfois comme l'impression d'une certaine perte du sens critique chez les chercheurs pourtant d'ordinaire assez graves ; ce nom de Vénus qui leur a été donné est d'ailleurs symptomatique et lorsqu'on lit les développement sur les dormes des Vénus aurignaciennes, stéatopyges, et celles plus frêles de la Vénus impudique de Laugerie-Basse, lorsqu'on voit quelles démonstrations ont conduit les anthropologues à confronter
les avantage de la Vénus de Lespugue14 à ceux de la Vénus hottentote, lorsqu'on voit tout ce qui à été dit des juments gravides et de « femelles couvertes par des mâles en rut », par des auteurs qui n'étaient pas tous des laïques, on se prend à regretter le temps où les Solutréens exprimaient sous
des symboles voilés une réalité biologique sur laquelle ils avaient sans doute des idées très normales."

Sur l'anthropophagie, cette phrase très prudente:
"il reste donc le seul document du predmost qui montre qu'une fois au moins, au Paléolithique très avancé, un homme a été découpé à des fins que rien n'interdit de considérer comme alimentaires."

Cela rappelle la blague:
"Un mathématicien, un physicien et un ingénieur voyagent à travers l'Ecosse et voient un mouton noir par la fenêtre du train.
"Aha," dit l'ingénieur, "je vois que les moutons écossais sont noirs."
"Hmm," dit le physicien, "tu veux dire que certains moutons écossais sont noirs."
"Non," dit le mathématicien, "tout ce qu'on sait est qu'il y a au moins un mouton en Ecosse, et qu'au moins un côté de ce mouton est noir !"

Voilà! Des faits, des interprétations et de la prudence. Que demander de plus?