C'est pédestre ! C'est très schwette !

Comment peut-on écrire un roman dont la seule voyelle est la lettre "e" ? Est-ce bien réaliste ? Impossible...

Et pourtant, non, impossible n'est pas Perec. Après La Disparition, peut-être la plus emblématique des oeuvres de l'Oulipo, Perec récidive en inversant complètement le principe : après l'absence de "e", son omniprésence.

L'incroyable est surtout le début, où Perec ne triche pas, si on excepte la règle des "qu" posée dès le début. Puis, peu à peu, l'auteur s'amuse à inventer des orthographes, des néologismes, détourner des mots, parsemer d'anglais le texte... Sans oublier l'utilisation d'innombrables mots complexes pour pallier le manque de mots plus courants n'ayant que "e" comme voyelle. C'est fantaisiste, dans un heureux mélange de registres, de mots, etc, et l'effet sur le lecteur est je trouve assez efficace - c'est parfois presque incompréhensible (mais Perec en joue), mais c'est surtout drôle.
Et il y a une véritable histoire ! Une sombre histoire de vol structure le roman, précédée par un interlude berbère et achevée par une apothéose sexuelle. Je n'aurais pas cru, si on me l'avait dit, que j'allais trouver dans cette oeuvre une des plus monumentales scènes de c*l de toute ma vie. Non seulement elle est longue, mais c'est une orgie vraiment délectable, mettant en scène des prêtres dans leur évêché (notons au passage la critique acerbement hilarante, ou hilaramment acerbe), des "pédés" (that's what he said) et des nenettes as du cambriolage des gemmes de Bérangère.
Si le début est très déroutant, le style dans son ensemble est fabuleux, comme quoi le précepte de l'Oulipo selon lequel l'art naît de la contrainte formelle s'avère fructueux. Et la fin est mirobolante, de quoi vous marquer à vie ! Un petit roman de 200 pages, écrit gros, rigolo, et en même temps une prouesse totale. Chapeau, l'artiste.

PS : ah et je préviens tout de suite les reproches, NON je n'avais point l'intention de m'embêter à rédiger une critique ne contenant que des "e" pour voyelles !
PPS : vous croyez qu'avant d'écrire ses livres il épluchait un dico pour faire une liste de tous les mots qu'il allait pouvoir et ne pas pouvoir utiliser ? Du génie, je vous dis !
Eggdoll

Écrit par

Critique lue 683 fois

8
2

Du même critique

L'Insoutenable Légèreté de l'être
Eggdoll
10

Apologie de Kundera

On a reproché ici même à Kundera de se complaire dans la méta-textualité, de débiter des truismes à la pelle, de faire de la philosophie de comptoir, de ne pas savoir se situer entre littérature et...

le 11 mars 2013

152 j'aime

10

Salò ou les 120 journées de Sodome
Eggdoll
8

Au-delà de la dénonciation : un film à prendre pour ce qu'il est.

Les critiques que j'ai pu lire de Salo présentent surtout le film comme une dénonciation du fascisme, une transposition de Sade brillante, dans un contexte inattendu. Evidemment il y a de ça. Mais ce...

le 6 mai 2012

70 j'aime

7

Les Jeunes Filles
Eggdoll
9

Un livre haïssable

Et je m'étonne que cela ait été si peu souligné. Haïssable, détestable, affreux. Allons, c'est facile à voir. C'est flagrant. Ça m'a crevé les yeux et le cœur. Montherlant est un (pardonnez-moi le...

le 21 mars 2017

49 j'aime

5