Nous sommes dans l'Oregon dans un futur très proche. Des lois criminalisant l'IVG et limitant fortement l'adoption viennent d'être adoptées. Nous suivons quatre femmes d'une petite ville, Newville, qui se croisent et dont les vies sont impactées par ces nouvelles lois liberticides : la Biographe, la Fille, l’Epouse et le Guérisseuse. La Biographe est une enseignante célibataire qui tente de devenir mère sans succès par fécondation in-vitro. Dans un mois, de nouvelles lois entreront en vigueur et il lui sera alors impossible d'adopter. La Fille est une lycéenne enceinte par accident, pour qui il est impossible d'avorter. Elle a beaucoup de projets et d’ambition. Malheureusement elle ne peut plus aller avorter au Canada. En effet, au non de l'amitié entre les deux pays, le gouvernement canadien surveille scrupuleusement ses frontières. L’Épouse est mère de deux enfants et fantasme sa fuite. Étouffant dans un quotidien monotone, elle s'imagine une vie seule, sans enfants, et libre. Enfin il y a la Guérisseuse qui tient de sa tante une connaissance du pouvoir des plantes. Elle est perçue comme une sorcière à moitié folle et effraie les habitants de la ville. Entre chaque chapitre, nous trouvons des extraits du texte que la BIographe écrit au sujet de l’exploratrice polaire Eivør Minervudottir qui vécut au 19ème siècle.


Grâce à ses personnages, l'autrice aborde beaucoup des problématiques qui touchent à la question de la maternité. On peut en effet se demander d’où vient le désir d'enfant et si il n'est pas dicté par une norme sociale. Le livre va plus loin que la question de l'IVG en abordant la PMA pour les femmes seules mais aussi le regret d'avoir eu des enfants. La naissance d'un enfant est forcément un événement qui va priver un temps la femme de sa liberté alors il semble important de se demander d'où vient ce choix. La navigatrice choisit de mener une vie radicalement opposée à celle des femmes de son époque et n'a pas d'enfant. Elle peut vivre libre, partir en exploration mais peine à faire reconnaitre son travail. Il en va de même pour la Guérisseuse qui vit recluse et solitaire. La biographe s’interroge aussi très régulièrement sur ce qui motive son choix d'avoir un enfant seule. Elle est lucide là-dessus et sait qu'elle subit des influences extérieures. Le sujet est traité de manière audacieuse et peu habituelle. J'y ai trouvé un peu des réflexions de l'essai de Mona Cholet, Sorcière. Dans un chapitre elle parle de la maternité et ce roman illustre bien plusieurs de ses réflexions.



Lorsque l’an dernier, elle avait fait part de son désir d’enfant au professeur de méditation, il lui avait conseillé d’adopter un chien.



Le style et la construction du roman sont assez atypique. Les quatre femmes sont nommées parfois par leur surnom, parfois par leur prénom. Cela peut-être un peu déroutant au début. L'écriture est hachée avec beaucoup de ruptures de rythme. L’alternance des chapitres offre plusieurs points de vues et permet aussi de montrer que l'on se trompe souvent sur le gens. Notre voisine qui semble avoir une vie idéale peut se sentir peut-être en réalité terriblement seule. Très vite, on se rend compte que toutes les femmes se connaissent de prés ou de loin. C'est une petite ville et l'on se regarde et juge beaucoup. On s'observe et on se côtoie avec parfois quelques arrières-pensées.


C'est un texte militant qui pousse à réfléchir sur la question de la maternité mais qui rappelle aussi combien le droit à l'IVG est un droit fragile. Aux États-Unis, peut-être plus qu’ailleurs en occident, celui-ci est menacé. En effet, l'arrivée de Trump au pouvoir et le lobby des associations "pro-life" inquiètent beaucoup. L'autrice nous montre que cela peut arriver demain et que les conséquences seront dramatiques. En cela, c’est un livre militant et important qui, comme L’événement de Annie Ernaux, devrait être lu par le plus grand nombre (et pas que par les femmes). Il est important en effet de toujours rester vigilant et protéger nos droits acquis de haute lutte, car un retour en arrière peut arriver très vite.



Elle s'était réveillée un matin avec un président élu pour qui elle n'avait pas voté. Cet homme estimait que les femmes qui faisaient une fausse couche devaient payer l'enterrement des tissus fœtaux, et pensait qu'un technicien de laboratoire qui lâchait accidentellement un embryon pendant le transfert in vitro était coupable d'homicide involontaire.



Je vous encourage vivement à découvrir ce texte et à le faire découvrir car il me semble important.

Anaïs_Alexandre
10

Créée

le 29 sept. 2019

Critique lue 202 fois

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