Les maoïstes, la folle histoire des gardes rouges français par Ano

La tendance maoïste demeure l'un des témoins incontournables des nouvelles constructions politiques qui se construisent dès l'après-guerre que l'on a regroupées sous le nom de Nouvelle Gauche (désignant aussi bien une nouvelle extrême gauche plus libertaire, qu'une gauche du capital autogestionnaire). Le maoïsme français s'est formé sur trois générations successives ayant chacune des matrices politiques intellectuelles différentes mais suivant une construction cohérente: jusqu'à la rupture sino-soviétique en 1962 et l'exclusion des prochinois du PCF en 1963, il s'agissait de construire une opposition "stalinienne" au parti, s'appuyant sur des militants déçus de sa faiblesse et de sa compromission qui avait accepté le désarmement des résistants dans l'immédiate après-guerre, ainsi que son soutien au gouvernement pendant la guerre d'Algérie. Puis dans les années 1960 les étudiants normaliens ( Le Cercle d'Ulm puis suite à leur expulsion de l'UEC, l'Union des Jeunesses Communistes (marxiste-léniniste)) reprennent cette critique léniniste du PCF, ainsi que des positions anticoloniales et tentent de constituer une nouvelle ligne originale, inspiré par la relecture d'Althusser antihumaniste et scientifique du marxisme, au sein de l'Union des Etudiants Communistes, à l'époque laboratoire des nouvelles pensées critiques (eurocommunisme inspiré par le PCI, conseillisme, trotskisme, etc.). Enfin au contact de mai 68, cette ligne évolue pour devenir beaucoup plus libertaire et se concentrant sur des fronts dits secondaires (Mouvement de Libération des Femmes, Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire, Mouvement des Travailleurs Arabes, Groupe d'Information sur les Prisons, Secours Rouge, etc. ). Si un certain nombre de points communs permettent de construire une cohérence globale dans la construction maoïsme français, il faut cependant intégrer qu'au lendemain de mai 68, avec l'éparpillement de tous les groupuscules maoïstes, plus grand chose permet finalement de relier des groupes aussi divers que les austères staliniens du PCML, les insurrectionnalistes de la Gauche Prolétarienne qui établissent un mariage étonnant entre l'avant-gardisme de Lénine et le spontanéisme de Rosa Luxembourg, les libertaires de Vive la Révolution finalement bien plus inspirés par le surréalisme et le situationnisme que par l'expérience chinoise, les nervis du Parti Communiste Révolutionnaire Marxiste-Léniniste, etc.
Toute une histoire, depuis le rassemblement des archives au début des années 1990, reste à écrire, mêlant histoire sociale, histoire des idées, histoire politique, histoire culturelle, philosophie, littérature, etc. Il est alors regrettable que depuis la parution de cet ouvrage en 1996 aucune étude ambitieuse n'ait vu le jour pour permettre de porter une analyse sur ce moment singulier qui encore aujourd'hui conserve une certaine influence. Chroniqueur des mouvements français situés à la gauche du PCF, Bourseiller rassemble ici une quantité impressionnantes d'archives, d'interviewes, des ouvrages des principaux acteurs, pour tenter de constituer une vaste et englobante histoire culturelle du maoïsme de 1963 jusqu'en 1978 (et plus ou moins jusqu'en 1996). Seulement, si l'ouvrage retrace assez fidèlement la construction historique des mouvements maoïstes dans toute leur diversité (quelques déséquilibres cependant, le PCMLF et Alain Badiou restent assez peu évoqués, alors que tout un chapitre est consacré aux intellectuels "démocrates": Sartre, Foucault, Sollers et Godard), ainsi que certains moments forts de l'activisme maoïste, Bourseiller n'est pas historien, et cela se ressent fort dans les quelques analyses qu'il amène.


De son postulat de base, à savoir que le maoïsme serait né d'une fascination pour le modèle révolutionnaire chinois, de l'anticolonialisme, de l'anti-soviétisme et enfin d'une idéologie populiste, Bourseiller montre à juste titre que ces éléments sont soumis à une lecture totalement différentes en fonction des groupes concernés. En effet, la fascination pour le modèle chinois doit être relativisée par un intérêt parfois très limité pour la question chinoise ("que les prochinois aillent en Prochine!" disait le groupuscule Vive la Révolution), mais aussi à l'inverse, si le modèle chinois traduit la volonté idéaliste d'incarner le rêve révolutionnaire, l'éloignement de ce modèle permet d'entretenir une illusion qui tient beaucoup plus du cynisme morbide que de l'aveuglement où la misère d'un peuple serait d'autant plus supportable que celui-ci ne se conçoit que dans l'abstraction. Bourseiller n'interroge pas assez ces contradictions: que la gauche du PCF soit anticolonialiste et antisoviétique on veut d'autant bien l'admettre que ces deux éléments constituent deux des points de rupture fondamentaux entre la Nouvelle Gauche et le PCF, comme l'indique la très intéressante analyse de Kristin Ross, toute l'histoire des mouvements sociaux de la fin des années cinquante jusqu'au milieu des années soixante-dix reste marqué par les luttes anticoloniales, et selon les mots de Sartre, l'imaginaire des luttes de libération nationales marquent les luttes occidentales, ainsi la déroute américaine au Vietnam a permis "d'élargir les champs du possible". De même le populisme n'est pas assez interrogé dans ses spécificités partisanes, et c'est d'autant plus dommageable que Bourseiller ne relève pas le paradoxe puisque l'origine de ce terme en tant que critique politique vient de Lénine lui même; de nombreuses choses auraient pu être analysée comme le rapport entre les maos et les classes moyennes (VLR fera même campagne avec Gérard Nicoud), la question de l'avant-gardisme, des intellectuels, etc.
De tous ces rendez-vous manqués, Bourseiller en conclut que "le maoïsme n'existe pas; il n'a jamais existé". C'est là tout l'échec de son analyse qui ne voit dans le maoïsme que des mouvements séparés de la réalité. Or si il s'agit d'une tendance qui peut représenter les outrances d'une décennie qui irait de 1963 à 1978, il s'agit pourtant d'un élément clef pour comprendre un moment de la construction de la nouvelle gauche, son institutionnalisation et donc sa déconstruction; il permet de comprendre l'émergence (ou la ré-émergence) de mouvements de luttes autonomes, mais aussi de percevoir les limites des actions révolutionnaires spectaculaires dans lesquelles a sombré la GP à partir de sa dissolution officielle en 1971. Les années 1970 marquent pourtant un point de rupture fondamental dans le reflux des mouvements de la gauche révolutionnaire, et un retour à l'hégémonie libérale; c'est là que l'historien aurait pu mener une analyse intéressante, là où l'auteur n'envisage la décennie que sous l'angle de la répression policière.
Bourseiller échoue aussi à montrer les spécificités d'un maoïsme français puisque la seule perspective internationale un peu évoquée est les liens avec les mouvements belges; peu de choses sur les Black Panthers ou les Brigades Rouges, rien sur le Weather Underground, etc.
Effectivement il est difficile de reconnaître un modèle maoïste, cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas plusieurs modèles maoïstes avec des points communs et des ruptures avec les autres groupes; mais aussi les autres tendances politiques. Ce livre constitue tout de même un bon point de départ pour envisager les mouvements dans leur globalité, ainsi que leur construction historique.

Ano
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le 9 juil. 2015

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