Lewis et Irène
7.9
Lewis et Irène

livre de Paul Morand (1924)

Y'a des livres comme ça qui vous emballent tellement ! Des auteurs qui vous chuchotent si fort à l'oreille que c'en devient plus étourdissant qu'une chevauchée de Walkyries. Ligne après ligne, c'est courir un marathon, c'est boire avide une eau froide, pure. C'est un effet physique, c'est pas métaphorique. Chaque phrase est comme une main qui vous agrippe le cœur (oui, physiquement, ça presse, ca triture, ça joue avec). Chaque phrase est une merveille. N'importe laquelle. Évidemment, ce genre de petits livres, fragiles, ça n'aura jamais l'ampleur d'un Proust, d'un Céline, d'un Dosto, ce n'est pas une question de talent, d'ambition, mais de positionnement. Ici l'écriture est légère, badine, superficielle (personne n'a besoin que je lui souligne façon Tonton Moustache qu'il existe une superficialité par profondeur ?), un simple piano pas tout un orchestre, un impromptu au lieu d'une symphonie. Milliers d'aiguilles toutes douces, qui caressent, caressent, mais sans qu'on s'en rende compte tout d'un coup font saigner. Et à l'arrivée pour d'autres raisons, par d'autres façons, on en ressort lessivé tout pareil, nos larmes heureusement font moins la fine bouche que nous.

Un livre comme ça, on a envie de l'offrir au premier passant venu, le lire à haute voix dans le métro, l'apprendre par cœur pour le répéter à l'être aimé, une nuit, dans la forêt. Pour que ces boucles, ces cascades se lovent dans chacun de nos recoins. Que le martellement des mots frappe un peu partout pour de vrai. Des étincelles, réelles, enfin. Et puis on ferme le livre, on respire deux secondes, on rouvre les yeux et on comprend la triste vérité. Ce sont des livres qu'il faudra garder tout seul en soi, pour soi, comme un oiseau au bord de mourir. Parce qu'au centième "ouais, bof, c'est sympa, mais bon…" on n'a plus trop envie de l'offrir au premier passant venu ou de le lire à haute voix dans le métro. Juste partir solitaire, la nuit, dans une forêt.

Une fois deux fois dans notre vie on croisera peut-être quelqu'un dans les yeux de qui on croira voir la même lueur quand par hasard (ah ah mais non, ça n'arrive pas ces choses là) tombera le nom d'un livre, d'un auteur si mortellement boudé, oublié, dédaigné. Un frémissement. Léger comme la première goutte de pluie qui tombe dans une rivière. Et là, il ne nous faudra pas trop longtemps pour comprendre la leçon qui se cachait au cœur de ces troublantes pages. Inspiration, expiration. Et l'on fera comme si de rien n'était. A quoi bon parler ? Non, surtout pas. Mieux vaut parfois savoir le silence garder sur ce qu'on aime de si près.
Chaiev
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes De la musique avant toute chose, On the row (2013), Péquin express et Oh Paul !

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le 8 mai 2013

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