On ne peut décemment pas parler de Malika, sans commencer par présenter son auteur, tant les deux son liées.


Valérie Valère est née en 1961 à Paris. Au milieu des années 70, à environ 13 ans, elle est envoyée dans un hôpital psychiatrique pour soigner une anorexie mentale. Il faut savoir qu’à l’époque l’anorexie n’est pas encore complètement comprise et maitrisée. Elle n’attirera les spécialistes qu’à partir des années 80. Elle est reçue dans cet hôpital comme une gosse un peu attardée qui, par un caprice inconscient et incompris, refuse de manger. Valérie Valère est alors abandonnée des adultes et voit dans leur comportement buté vis à vis de sa situation une trahison. Dans le viseur de sa rancoeur se trouve évidemment ses parents. Elle garde néanmoins beaucoup d’estime pour son frère. Cette expérience lui fera écrire, à la sortie de l’hôpital, « Le pavillon des enfants fous », véritable cri du coeur d’une adolescente incomprise. Son premier livre est salué par la critique. Elle a alors 15 ans.


Forte de son premier succès, elle écrit « Malika, ou un jour comme les autres » à 17 ans, lorsqu’elle est au lycée.
Malika, 10 ans, et Wilfried, 15 ans, sont frère et soeur, abandonnés de leurs parents dans un grand appartement parisien. La mère est morte et le père est toujours en voyage. Valérie Valère a une aversion totale pour sa mère et montre une indifférence exemplaire pour son père. Si on connait quelque peu la vie de l’auteur, on s’aperçoit dès les premières pages qu’elle n’écrira pas simplement un roman mais quelque chose qui s’apparente plus à une autobiographie, une confession, voire même parfois, une réflexion.
Une des bonnes idées de Valérie Valère est de prendre alternativement, à chaque chapitre, le point de vu de l’un des deux personnages principaux. Elle peut ainsi explorer et développer plus amplement ses personnages.


Ce qu’il faut comprendre, c’est que ces deux enfants/ados, sont nus de conventions sociales. Aucun adulte n’est là pour les éduquer, les orienter. En résulte donc une première réflexion sur l’absurdité et la complexité du système que les adultes mettent en place. Malgré tout très lucides vis à vis des protocoles, la liberté relative dont jouissent les deux personnages est désarmante tant elle s’attaque aux fondements sociaux de notre organisation. Ce contraste entre lucidité et critique est un des points forts du roman. Il permet à la jeune écrivaine de ne pas être (trop) taxée de « jeune rebelle de la société » (« trop » est ici entre parenthèse, car malgré elle, ou non, elle deviendra une des figures symboliques, voire martyr, des jeunes ado en mal de vivre).


Valérie Valère pousse la réflexion plus loin lorsqu’elle s’attaque à un tabou. Les limites de la relation frère/soeur. Comme je le disais précédemment, les personnages sont blancs de toutes conventions, rien ne les empêche de s’aimer et ce, de toutes les façons possibles. Inconsciemment, on refuse ce type d’amour entre eux. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas bien et qu’il y a bien cette histoire de problème génétique. La première impression passée, on se repose malgré tout la question et notre argumentation se révèle bien faible face à la question naïve : « Pourquoi ne puis-je pas aimer, et faire l’amour à qui je veux ? » Même si le discours pêche à force par sa naïveté, il pousse néanmoins à se poser une question qui semble évidente en premier lieu. Pour l’anecdote, je me suis renseigné sur « l’inceste fraternel » et bon nombre de travaux de psychologues ne datent que des années 90, faisant en général mention d’un complexe oedipien déplacé. Ce qui dans notre cas colle tout à fait, bref, là n’est pas vraiment la question.


La grande force du roman, une histoire d’amour d’adolescent écrite par une adolescente est également sa grande faiblesse. Si Valérie Valère a ici fait le choix d’utiliser le champ lexical de son époque et de son âge, ce style en devient rapidement pesant et hache la lecture. « Pour sûr », « chouette », « chic », « Vrai. » et autres reviennent inlassablement toutes les deux pages. De même que ce qui pouvait être pris pour une rébellion lucide et maitrisée face aux adultes tourne souvent à la condescendance railleuse.


Malika, ou un jour comme les autres, est très certainement un livre à lire car il nous amène à nous question sur notre société et ses fondements tacites, mais pour ne rien manquer de ces réflexions, il faudra contextualiser sa lecture, auteur et période, tout en faisant abstraction de cette première couche de rébellion clichée.

Rumol
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le 23 sept. 2014

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