Se comparer à Camus, c'est casse-gueule. Eh bien Kamel Daoud s'est cassé la gueule.


Ce n'est pas qu'il écrive mal, ni vraiment bien non plus. C'est passable. Mais Kamel Daoud est accro à l'une des choses les plus haïssables en littérature : les grandes réflexions péremptoires sur la vie, qui, à coup de déclarations à l'emporte pièce, s'érigent en vérités absolus. Pour le plaisir : "Le crime compromet pour toujours l'amour et la possibilité d'aimer."


Et si encore il ne se répétait pas ! Mais en peu de pages, ce chameau de Kamel répète sans se lasser des figures de style à l'intérêt limité : "j'ai tué pendant la nuit, et depuis, j'ai son immensité pour complice" ou "enfant face à l'immensité de la mer et du crime." Le délire mystique point à chaque paragraphe, bien rarement convaincant.


Encore une raison de ne pas crier au génie : un chef d'oeuvre tire sa valeur de lui-même. Or qu'en est-il d'un livre qui n'a de valeur que par un autre livre, par un roman qu'il commente et parasite sans cesse ? L'histoire de Meursault est inintelligible et d'intérêt très vague pour celui qui n'a pas lu le vrai roman ; et par bonheur tout le monde l'a lu. La liste des allusions est infinie. Ce sont des phrases entières, des situations. Le narrateur passe même son vendredi au balcon à regarder la rue, comme Meursault le dimanche...


Étrangement, l'histoire est bâti comme si Camus était Meursault lui même ; comme si Meursault écrivait. Comme si Camus était un assassin se confessant, et - idée sidérante pour le lecteur de L'étranger, comme s'il avait été gracié pour tant de larmes. Jeu littéraire, me direz vous. Mais je suis chagriné... Comment peut on distordre la réalité même du roman original qui est le fondement de cette péri-histoire ? Ou encore dire que Meursault s'est livré à la police ? Pardon ?


Roman contre la haine raciale, alors ? Mais cette haine stupide me semble portée à son paroxysme lorsque le héros tue un Français au hasard, pour se venger du meurtre vingt ans plus tôt de son frère par un autre Français. Un roumi, que l'auteur nous traduit aimablement par "étranger", sauf qu'une traduction plus exacte en serait : "chrétien" ou à la rigueur "européen".


La haine, la haine, ressort du livre. On nous présente une mère monstrueuse, qui hait son fils resté vivant. On nous plonge dans un monde plus torve que nature, vénéneux. Mais bête. Ce bavardage égocentrique et doloriste est bien lassant. Le narrateur est un vieillard ressassant la blessure - à l'âge de sept ans - qui l'aurait empêché de vivre sa vie entière. On n'y croit guère et on s'ennuie.


L'étranger de Camus ne vivait que dans le présent ; le narrateur de Daoud ne vit que dans le passé. Albert le Français aimait l'Algérie ; Kamel l'oranais semble la détester.


Je crois que K. Daoud tient Camus pour un dieu et un modèle, car si son sujet est piqué à l'étranger, la construction de son Meursault etc. mime pas à pas un autre roman de Camus : la Chute.


Je suis mauvaise langue et doit reconnaître que j'ai trouvé quelques pages bien écrites : toutes les citations tirées de Camus. Ah, cette paraphrase de deux pages droit tirée de l'Etranger, au dernier chapitre... Où s'arrête l'hommage et où commence le plagiat...? Décidemment, il y a une seule chose que Daoud n'aura pas volé à Camus : son talent.

AntonJørgen
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le 14 juil. 2016

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Anton Jørgen

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