Osama
6.7
Osama

livre de Lavie Tidhar ()

Comme tout le monde le sait, Oussama ben Laden est un personnage de roman. Le héros d’une série populaire titrée « Oussama ben Laden, Justice Sommaire » avec un sens de l’à-propos ne ménageant guère le doute sur son contenu, et dont les aficionados ne ratent pas un seul des épisodes. Aux quatre coins du monde, du Yemen au Kenya, en passant par New York, Londres et Madrid, son organisation fomente des attentats sanglants se vengeant ainsi des humiliations imposées à l’islam. Mais que sait-on exactement de son auteur Mike Longshott ? Le bougre vivrait quelque part, terré dans une retraite à la localisation inconnue, s’ingéniant à brouiller les pistes pour que l’on ne puisse pas le trouver.

Alors qu’il végète à Vientiane, affalé sur une chaise à contempler la rue écrasée par la mousson, Joe voit débarquer une inconnue dans son bureau. Les yeux en amande, les cheveux bruns, un air mystérieux collé au visage, la jeune femme lui demande de mettre la main sur Mike Longshott. L’argent n’est pas un problème dit-elle, une affirmation confirmée par la carte de crédit qu’elle lui remet aussitôt. Joe n’a pas le temps de la questionner ou de lui demander ses coordonnées, la voilà déjà partie. Une silhouette s’effaçant dans la pluie.

La vie présente de Joe ne lui laissant que l’impression d’un grand vide, il s’envole vers Paris où se trouve le siège social de la maison qui édite les romans de Longshott. Un choix dont il ne tarde pas à se mordre les doigts car la substance du monde et jusqu’à son existence personnelle semblent lui échapper. Il entrevoit des ombres, fantômes d’individus qui le harcèlent. Au fil de son enquête, les obstacles se multiplient. De dangereux agents secrets américains le menacent, tentant de l’écarter d’une enquête dont ils entendent conserver le monopole. Et les questions s’entremêlent dans un lacis qui devient inextricable. Qui sont ces indistincts dont le nom ressort à plusieurs reprises ? Quel rôle joue l’opium dans les visions de Joe ? Pourquoi Longshott se cache-t-il ? Les scénarios de ses romans sont-ils vraiment issus de son imagination ? À toutes ces interrogations, Joe veut une réponse. Et comme il est un dur à cuire, ce ne sont pas les menaces qui risquent de le faire renoncer.

Précédé d’une réputation élogieuse confortée par le World Fantasy Award 2012, Osama fait partie des quelques romans dignes d’intérêt parus chez Éclipse, du moins de ceux échappant aux recettes des produits formatés dont la collection se montre si friande.

En découvrant le synopsis du roman, on pense immédiatement à Philip K. Dick, en particulier au Maître du Haut-château, opus majeur de l’auteur américain. Une impression confirmée par les ressorts de l’intrigue, et ce d’autant plus aisément que Lavie Tidhar s’échine avec classe à flouter les contours de la réalité.

D’emblée, on est happé dans un monde parallèle, mâtiné d’uchronie, assez proche du nôtre comme le suggère bon nombre de détails familiers, mais dont certains éléments et personnalités diffèrent quand ils n’ont pas été tout simplement escamotés. Lavie Tidhar ne se montre guère disert sur ces points, se contentant de suggérer les divergences plutôt que de les surexposer. Un fait dont on ne peut que le remercier.

L’auteur israélien se focalise rapidement sur l’enquête du narrateur, Joe, dont on suit les pérégrinations entre le Laos et l’Afghanistan, via Paris, Londres et New York. Une enquête qui ne tarde pas à se doubler d’une véritable quête existentielle. Dans une ambiance de film noir, émaillée de quelques clins d’œil vers d’autres genres, notamment au fameux Escape from New York de John Carpenter, Lavie Tidhar entretient le mystère, distillant les indices au fil d’une intrigue à laquelle on peut toutefois reprocher un manque d’audace. Car si Osama a les qualités d’un page-turner, on en retire au final pas grand chose de tangible.

Passé l’enthousiasme initial, certes tempéré par un dénouement en forme de pirouette facile, Osama s’avère aussi évanescent que les volutes d’une fumée de cigarette. Cela suffit pourtant pour passer un bon moment, mais pas assez pour en faire un grand roman. Mais au regard du talent déployé par l’auteur, je ne cache pas mon impatience de découvrir The Violent Century paru en 2012. Peut-être chez Éclipse ?
leleul
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le 6 déc. 2013

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