De prime abord, il est possible d'avoir peur. Emmanuel Terray, ancien maoïste, qui décide d'écrire un livre pour expliquer la pensée de droite. J'avais très peur que l'ouvrage tombe dans la diabolisation, la fermeture d'esprit et la caricature. Loin de là ! Bien au contraire, comme l'explique lui-même l'auteur dans l'introduction du livre, il décide de porter un regard lucide sur sa vie passée de militant, en prenant le parti adverse et en tentant de le comprendre. En effet, âge de près de 80 ans lors de l'écriture du livre, il a plusieurs dizaines d'années d'expériences politiques et de réflexion derrière lui, ce qui l'encourage vraiment (et il y réussit presque parfaitement) à une impartialité et un véritable désir de saisir l'essence de la pensée dite de droite. C'est la principale qualité de l'œuvre, qui se base sur nombre d'auteurs "classiques" de la droite (Maurras, Barrès, Rivarol, Taine, Renan, pour ne citer qu'eux) pour en comprendre la teneur idéologique.
Contrairement aux œuvres de Rémond ou Sirenelli, Terray ne s'appuie que sur une droite intemporelle et "apatride". Même s'il s'appuie en grande partie sur des auteurs francophones, il n'est ici question que de comprendre la droite dans toutes ses composantes, son histoire et ses nuances. Ainsi, pas de références historiques, pas d'histoire des partis, juste une analyse du fonds du discours de droite. Terray le qualifie - assez brillamment - ainsi : Autorité, Ordre, Respect de la Hiérarchie, Réalisme, ... À cela il ajoute un pragmatisme viscéral qui tend à préférer une réalité certaine (même si imparfaite) qu'à une utopie incertaine et donc, dangereuse. De plus, il ne se vautre pas dans la caricature puisqu'il précise bien que les penseurs de droite ne sont que très rarement dans la volonté de retour au passé (soit, réactionnaires) mais qu'ils sont plutôt dans une défense acharnée du présent (soit, conservateurs) au titre que ce dernier à le mérite de la stabilité. "On sait ce qu'on perd mais on ignore ce qu'on va retrouver".
Cette analyse de fond est à la fois passionnante, véritablement travaillée, argumentée et évite de nombreux écueils. Cependant, quelques bémols apparaissent. Il est dommageable que l'auteur parle d'individualisme libéral, puisque, visiblement, il ne comprend pas trop les notions qu'il emploie à ce moment-là. De plus, la conclusion est assez absurde : L'auteur déconstruit, en quelques pages, toute l'analyse, impartiale et scientifique, qu'il avait mené auparavant pour conclure en se vautrant dans une diatribe anticapitaliste ridicule qui tranche véritablement avec le reste de l'ouvrage. Terray verse alors dans le militantisme le plus agaçant et le plus aveugle qui soit. Dommage...