Pour beaucoup, Olivier de Kersauson c'est le vieux ronchon de la bande à Ruquier. Une gouaille repérable entre mille, à la blague facile et au bon mot toujours caustique. Son ton moqueur résonne comme une voix familière, ancrée depuis toujours à l'émission de radio: « les grosses têtes» sur RTL.
Pour d'autres, il est une homme vaguement associé à la mer. Jadis marin en solitaire, il bravait la houle déchaînée à bord d'un bateau de course. Des images d'arrivées triomphantes dans les ports aux termes de voyages éreintants viennent en tête. Vous savez, le genre d'archive télévisuelle conservée par l'INA, qu'on ressort à la moindre occasion pour peu qu'on évoque la mer entre deux sujets de journal parlé.
Et pour d'autres encore, Olivier de Kersauson est avant-tout un formidable écrivain. Qui écrit l'océan admirablement. Et qui l'air de rien, désinvolte et pudique, commence à se hisser très haut sur le pavillon des illustres conteurs de la mer.
Promenade en bord de mer et étonnements heureux paru aux éditions du Cherche midi fin 2016, est sa dernière salve.


Dans ce livre, il nous raconte son plus récent journal de bord, un carnet de sensations et d'humeurs remis à jour car Olivier de Kersauson, la septantaine délicatement aventureuse, prend encore le large. Oh bien sûr, pas comme hier. Il laisse désormais de coté les velléités de performance, la soif de record ou le tour du monde en solitaire. La frénésie du dépassement de soi sur l'eau n'est plus de son ressort. Pendant de nombreuses années il a emprunté cette voie, mais aujourd'hui, rangé des frégates et des multicoques rutilants, Kersauson ralentit l'allure pour mieux égrainer ses souvenirs nichés dans les voiles.


On ne le soupçonnerai pas à priori, tant il porte la mine facétieuse et détachée en toute circonstance, mais Olivier de Kersauson est un grand romantique. De la mer, évidemment, mais il garde aussi un attachement très fort et robustement sincère pour les rares gens qui ont jalonné sa route. Car il demeure un indécrottable solitaire. Non pas par dépit, mais par choix. Olivier de Kersauson s'est toujours employé à vivre selon sa propre éthique de la vie. « La liberté, c'est choisir ses exigences, choisir ses contraintes et s'y tenir, mais en étant le patron de ses contraintes. la vraie liberté est d'avoir conscience de de ce que l'on est, avoir conscience de notre impuissance. »
Une définition qui tranche radicalement avec les envolées libertaires contemporaines, être libre c'est au contraire, ne pas être dégagé de tout. C'est faire sien le carcan insurmontable.


Dans ses précédents livres, il dressait un portrait digne, en quelques mots, de son maître Éric Tabarly. Ici, il débute l'écriture par un hommage sobre mais touchant à Florence Arthaud, disparue tragiquement lors d'un accident d'hélicoptère il y a deux ans.
La mer construit aussi des histoires fraternelles, une franche camaraderie au-delà de l'aventure solitaire. Les liens sont forts entre les intimes des vagues.


L'écriture de Kersauson ne fait pas dans le lyrisme. La profusion de qualificatifs n'est pas du bord de l'amiral. Néanmoins, il possède un style indéniable. Il parle de l'océan comme d'une entité supérieure. Capable de tout, tantôt puissante, tantôt miséricordieuse. Il lui prête une grandeur d'âme éternelle, qui n'a pas bougé d'une goutte d'eau depuis les temps immémoriaux. Même le désordre du monde, grandissant époque après époque, ne peut altérer sa pureté car tout s'efface sur l'eau: les sillages, les traces, les hommes. C'est bel et bien ce sentiment de fraîcheur, cette sensation d'être le « premier homme » que Kersauson arrive si subtilement à nous transmettre.
L'incipit du livre est d'ailleurs limpide:



Quand je regarde la mer, je me promène dans le temps du monde.



Au détour d'une halte lumineuse en Polynésie ou d'une balade le long de la rade de Brest, Promenade en bord de mer et étonnements heureux fait l'étalage de toute la richesse d'un continent immortel. Si proche, et en même temps si lointain, car indifférent à l'égard de cette société tournée sur elle-même. Et ce malgré la farouche propension de l'homme à envahir parfois salement les vastes étendues bleues.
Olivier de Kersauson dans ce dernier livre, et via son œuvre de manière générale raccroche notre relation quelque peu distendue avec la mer. Il clame que naviguer ou même simplement poser nos yeux elle, c'est selon sa formule:



Prendre la lumière du monde.



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Une critique à retrouver sur le site Le Nouveau Cénacle. (https://lenouveaucenacle.fr/)

Liverbird
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le 29 mars 2017

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