Jeune étudiant avec peu d’expérience, sexuelle notamment, Herbert Kahn ne manque pas d’ambition. Il caresse l’espoir de devenir écrivain, travaille sur le manuscrit de son premier roman, au titre révélateur, «Le Conflit», tente de mettre en scène sa pièce de théâtre, et rêve de séduire les filles et d'être regretté. Malgré ce volontarisme, Herbert ne fait qu'effleurer son existence, sans cesse tourmenté par la conscience de lui-même, occupé à s’observer plutôt qu’à vivre.

«Comment ces gens peuvent-ils savoir qu’il existe, alors que lui-même en est à peine certain ?»

À distance de la vie, c’est difficile d’en jouir ; alors le cours de l’existence d’Herbert, héros impuissant, prend l’allure d’une impasse, plutôt que celle d’un fleuve.

«Il imagine la possibilité de faire l’amour en dormant, le sommeil étant le seul moyen de s’abstraire suffisamment de soi-même pour éprouver un plaisir purement physique.»

Oscillant en permanence entre des rêves de gloire et une perception pitoyable de lui-même, Herbert, personnage complaisant et velléitaire, agace souvent. Mais il attendrit aussi. Il est si familier.

«Sa pensée de pur plaisir le propulse ensuite, comme d’habitude, dans un futur glorieux où, au-delà d’un succès d’abord modeste, se dessine bien vite une réussite telle – aussi bien en tant que comédien, que metteur en scène, que dramaturge ; sans oublier son œuvre romanesque, poétique, critique, et pourquoi pas philosophique – que son invraisemblance finit par le gêner quelque peu.»

Premier roman de Philippe Annocque, revu et republié par Quidam éditeur en 2014, «Rien (qu’une affaire de regard)» est un livre ironique, souvent très drôle, et cet homme qui sans cesse se questionne sur le cours de sa vie donne envie de replonger dans le magnifique «Liquide», du même auteur (Quidam éditeur, 2009).

«C’est à peine si elle le regarde quand Marie enfin nue se précipite à nouveau sur lui, lui-même a à peine eu le temps de la voir, il ressent surtout le contact dur des articulations et se demande pourquoi donc les filles s’obstinent à faire du régime, ce sont surtout des mots qu’il se dit dans sa tête, par peur de la trouver vide. Alors que dans un souci de justice il commence à admettre que c’est aussi, pour moitié, sa propre maigreur qui rend inconfortable leur étreinte, un goût soudain et incongru fait irruption dans sa bouche, qu’il croît sans enthousiasme identifier comme celui du cassoulet, et lui fait se rendre compte qu’ils sont en train de s’embrasser ; il peut quand même constater que, à force d’expérience, l’activité est nettement moins laborieuse et douloureuse que ce qu’il a déjà connu.»
MarianneL
7
Écrit par

Créée

le 16 déc. 2014

Critique lue 622 fois

3 j'aime

MarianneL

Écrit par

Critique lue 622 fois

3

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

35 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

32 j'aime

4