Nottingham, fin des fifties. La guerre, avec son lot de privations, est encore dans toutes les mémoires, de même que la crise économique qui l’a précédée, une époque pourrie où le chômage était devenu la norme, où tout ce qu’on pouvait espérer, c’est un boulot à mi-temps, payé une misère. Le jeune Arthur Seaton n’a pas oublié ces temps de disette où la soupe populaire remplaçait bien trop souvent le lunch familial. Mais désormais, tout a bien changé : le travail ce n’est pas ce qui manque, pourvu qu’on accepte de se retrousser les manches. A la veille des Golden Sixties, le présent serait-il devenu facile et les lendemains promettraient-ils d’être radieux ? Pas si sûr.
Le quotidien d’Arthur, c’est plutôt deux jours de paradis pour cinq journées d’enfer, semaine après semaine, année après année, sans l'espoir même minime d’un avenir meilleur. Tous les jours les mêmes gestes abrutissants, la même cadence : ce n’est pas que le boulot soit particulièrement difficile à accomplir dans la fabrique de bicyclettes où le jeune homme exerce le métier de tourneur, mais bon sang, qu’il est répétitif et ennuyeux ! S’il lui procure assez d’argent pour payer sa quote-part à ses parents, sortir deux soirs par semaine et s’acheter des costards de milord, la lassitude et l’absence de perspectives finissent par l’engloutir comme un tombeau. L’avenir, le jeune homme n’y pense pas trop, se contentant de faire la fête jusqu’à plus soif et de s’envoyer des filles peu farouches. L’avenir au fond, c’est le prochain week-end, la prochaine beuverie, le prochain cinéma, la prochaine foire, la fin d’année qui s’approche et rien au-delà, si ce n’est un éternel recommencement. Alors, pour mettre un peu de piment dans son existence, Arthur vit sur le fil du rasoir, toujours prompt à la bagarre, sortant avec deux femmes mariées, sœurs de surcroît. Un jour ou l’autre, un mari jaloux voudra sans doute lui faire la peau mais le danger ne lui fait pas peur et s’il lui faut en découdre, eh bien on le trouvera.
En attendant, l’avantage d’un travail ingrat et monotone, c’est qu’on peut l'accomplir en pilote automatique, laissant ainsi à celui qui l'exerce tout le temps de gamberger. Les idées, elles se bousculent dans la tête d’Arthur, l’absence de sens et la frustration le bouffent de l’intérieur. Et logiquement, il se mue en un jeune en colère, un angry young man, à l’instar de l’auteur du roman. Armée, police, gouvernement, usine, religion et même syndicat, tout y passe : il rejette tout ce qui de près ou de loin s’apparente à une institution, s’accrochant comme un désespéré au peu de liberté qui lui reste. Si ce jeune punk avant la lettre est suffisamment lucide pour ne pas rêver au grand soir, la violence est toujours au coin de la rue et il ne faudrait pas grand-chose pour que jaillisse en lui l’étincelle qui mettrait le feu aux poudres. Quant à s’enferrer dans une relation suivie ou pis encore, mordre à l’hameçon du mariage, c’est totalement hors de question.
Samedi soir, dimanche matin relate le parcours chaotique d’un working class hero et à travers lui la souffrance de toute une jeunesse ouvrière sans avenir et qui prend conscience qu’elle est flouée par un système qui lui en donne juste assez pour qu’elle accepte sans trop broncher son aliénation. Il n’est dès lors pas étonnant qu’elle se cherche un exutoire, oscillant entre violence, évasion dans les plaisirs faciles, détresse morale ou résignation.
Mais il arrive parfois qu’un coup dur puisse déboucher sur une certaine sagesse. On se dit alors que savourer simplement les moments heureux qu’offre le présent et espérer ceux que l’avenir réserve, ce n’est déjà pas si mal. Que si la vie est incohérente et mal foutue, il reste qu’on peut s’ouvrir à la beauté de la nature, au calme et à l’harmonie des dimanches matin. Et si, au cours d’une partie de pêche, on peut choisir de remettre à l’eau le poisson qui s’était laissé ferrer, c’est qu’il y a peut-être moyen d’échapper, malgré tout, aux filets du destin et de défier le monde.