Étrange scène, où une femme arabo-musulmane, Biskra, envoûte littéralement un officier français (Guimard),qui a envahi son pays, et le fait mourir en lui imposant des illusions hypnotiques qui représentent sa femme, restée au loin, en train de le tromper, et son fils Jules carrément mort et enterré.
Biskra est soutenue dans son action par son amant arabe Youssef, et on devine que la guerre de libération contre la colonisation française constitue le cadre général vraisemblable de cette situation.
Pourtant, comme dans « Paria » et dans « La plus forte », on est toujours dans le rapport de forces psychiques entre deux individus – et, ici, c’est l’homme qui meurt (écho possible de la destruction du couple formé par Strindberg et Siri van Essen ?).
Toutefois, l’atmosphère reste intemporelle, onirique et fantasmatique, mal située. L’action se situe pendant un vent de simoun, qui met du sable partout (Biskra tente même de faire boire du sable à Guimard en lui faisant croire que c’est de l’eau), et surtout Biskra semble posséder un don de suggestion et d’emprise énorme sur Guimard, si énorme qu’il semble invraisemblable. On est donc dans cette situation d’impuissance radicale, parfois ressentie au cours des rêves, dans laquelle un danger mortel s’approche, sans qu’on puisse le fuir ni le combattre.
Plus étrange encore, c’est par sa seule parole, ses seules suggestions hypnotiques (agrémentées de passages chantés incantatoires pour lesquels Strindberg a composé lui-même de la musique « arabe ») que Biskra parvient à plonger Guimard dans un profond désespoir hallucinatoire et à l’en faire mourir.
Cet irréalisme fortement teinté d’exotisme n’est évidemment pas dans la manière naturaliste de Strindberg. Il renvoie aux peurs intimes de l’homme face à une image de la femme lointaine, hostile, magicienne et maléfique, qui traîne dans toute l’Europe depuis Baudelaire jusqu’en 1914 (perversités vénéneuses fin-de-siècle). Ce fait général de culture entre en résonance avec les peurs intimes de Strindberg sur ses rapports avec les femmes, pour qu’il ait eu envie de composer, comme au passage, ce scène forte en tension dans un cadre exotique de guerre coloniale et de simoun.
khorsabad
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le 9 févr. 2017

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