Souvent quand je lis un bouquin de cette auteure, je suis obligée de le reposer par moments, et de revenir dessus plus tard. Malgré cela, j'ai réussi à lire celui-là en 2 jours. Cela veut dire qu'il m'a passionné, et que, tout en reconnaissant certains personnages et ficelles utilisées, je n'avais aucune idée de comment il allait se terminer.


D'ailleurs, j'ai aimé la fin plus que tout le reste. Certaines explications sont arrivées, des fils se sont dénoués. Malgré certaines longueurs (quelques dialogues et monologues de l'héroïne), j'ai trouvé la construction parfaite, et je n'aurais pas aimé que l'auteur "coupe", même dans les passages "équestres" avec l'étalon un peu Disney qui m'ont (un tout petit peu) gonflés. Mais ça, c'est complètement personnel, et je sais qu'il y en a d'autres qui au contraire vont adorer.


La stratégie eugéniste d'une vieille famille et le complot autour de l'héroïne à la Anne Rice époque Mayfair, les apparitions du dieu-cerf qui évoquent Miyazaki, l'utilisation des thèses de Murray et de Frazer (des fois ça sent un peu Marion Zimmer Bradley par moment - mais en mieux en fait !) l'ambiance profondément gothique de ce livre, dans le sens "héroïne prise dans un truc qui la dépasse, qui rencontre un perso masculin mystérieux et potentiellement source de problèmes mais finalement comme elle victime des odes ET agent de résolution" ... Je me suis sentie en terrain connu et j'ai aimé y être. Sans compter qu'on retrouve (avec beaucoup de plaisir) l'univers et les personnages des autres livres de Léa Silhol. Je me suis quand même dit "merde, pauvre Herne !" en le voyant encore une fois (faut qu'il apprenne, un peu !) tomber entre les griffes de femelles voraces et machiavéliques. Bon, il faut avouer qu'on les comprend un peu. Herne, c'est probablement mon personnage préféré de tout le silhol-verse et je le trouve plus dayum que Finstern, personnellement (Question de goûts. J'ai d'ailleurs détesté la façon dont il avait été traité dans la Glace et la Nuit, mais un auteur est seul maître en son royaume) Et puis c'est sympa quand les protagonistes masculins sont bizutés, moi j'aime bien. Il y a un petit côté christique (même si là on est plus du côté du Rameau d'Or que de la Bible - quoique)


Quand je dis que je mets du temps à lire un bouquin ou une nouvelle de Léa Silhol, ce n'est pas parce que l'histoire m'ennuie ou m'insupporte. Bien au contraire. C'est parce que je veux prendre tout mon temps pour savourer ces perles rares. Et parce que ce sont des perles dans du vinaigre, et que l'auteur a les qualités de ses défauts (ou le contraire) : l'intensité des sentiments, la sensualité suave et jamais facile ou vulgaire, le fracas byronien de l'intrigue, le côté tellement "over the top" de tout ça me prennent tellement aux tripes que je suis obligée de faire des pauses pour respirer (en plus il fait chaud là où j'habite) Comme beaucoup de ses héroïnes phares, celle-ci m'a dérangé. Je me suis dit, "ah, encore un protagoniste masculin parfait et une héroïne parfaite qui envoie chier tout le monde" (souvent, le type est plus sympa) Je me suis même dit que ça allait être le seul vrai défaut de ce livre.


Je ne compte pas l'écriture un peu lacunaire et manichéenne des persos secondaires et des "méchants", forcément maltraités


: le meilleur ami à la Sam Gamegie, plus fidèle encore que le chien (et c'est peu dire), la "cousine cool", la nounou dépositaire (et annonciatrice) de secrets, les potes faire-valoir, puis les vilains paysans arracheurs de forêt et brûleurs de chevaux, les rivales qu'on dégomme comme au jeu de quilles, la marâtre traîtresse (en même temps, quand t'as été menacée par une gamine de 16 ans...), la mère d'ado rebelle à qui on ne pardonne rien et le bon papa, figure d'un odieux patriarcat avec son cigare et son journal.


De toute façon on s'en fout, c'est efficace, et puis, ce qui nous intéresse, c'est l'intrigue entre les deux héros et les personnages "surnaturels", on ne va pas se mentir ! Et ça, elle maîtrise, Léa Silhol. Si je voulais lire un roman de moeurs avec des vrais gens, j'irais piocher ailleurs.


D'ailleurs c'est ça aussi qui fait un roman gothique. Le décor et les figurants doivent servir d'écrin aux personnages et à leurs sentiments. Dans Carmilla de Le Fanu, on ne s'attarde pas sur ce qui n'est pas Carmilla et Laura, et tout le monde, l'intrigue même, est au service de l'héroïne, et de l'épiphanie qu'elle connaîtra.


Puis les révélations finales sont arrivées. Les côtés "mary-suesques" de l'héroïne


qui est super OP, parle comme une nana de 30 ans alors qu'elle en a 16, manipule tout le monde de manière pire qu'un général chinois dans Sun Tzu, tope le gazier et remporte le "beurre et l'argent du beurre" (j'ai adoré la façon dont a été employée cette formule)


ont été justifiés (trope adverted) Pareil pour les plot-holes éventuelles. Et c'est dans le tout dernier chapitre, l'épilogue, que la mayonnaise monte vraiment, que tout prend sa place comme lorsqu'on pose la dernière pièce du puzzle.


Ah, le retour de Deor dans le domaine à la fin... En une phrase, sûrement le plus beau passage du livre ! Un personnage qui mériterait un petit spin-off, soit dit en passant.


Avec quelques descriptions minimales et ciselées (chaque phrase compte, on le sent bien), tout un monde de profondeur, d'érudition (faut le dire) et de sous-entendus est évoqué. L'auteure connait son boulot. Vraiment bien. Et surtout, elle fait à chaque fois le job : elle nous fait rêver. Pendant des jours, des mois, des années. Et c'est ça que moi, je demande à un auteur. Qu'il me fasse rêver.

MaxenceSardane
9
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le 8 mai 2020

Critique lue 41 fois

MaxenceSardane

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