L'Autriche de la première moitié du XXe siècle

Une fois n'est pas coutume, Ludwig von Mises quitte ses habits de théoricien pour ceux de narrateur de sa propre vie. Cette courte autobiographie porte exclusivement sur sa vie en Europe (principalement en Autriche), qu'il quitta en 1940, à l'âge de 59 ans, pour fuir le national-socialisme. C'est précisément à cette époque qu'il rédige ses mémoires. Il lui restera cependant une trentaine d'années à vivre aux États-Unis. Mais de ces années là, nous ne saurons rien dans ce livre.


Mises ne raconte jamais sa vie intime. Sa famille ou sa compagne n'y sont jamais mentionnés, ou seulement en passant. Il s'agit d'une autobiographie strictement intellectuelle et politique. Il raconte dans les grandes lignes son parcours intellectuel et son rôle dans la vie publique autrichienne. Ses débuts en tant que socialiste, sa découverte de Menger, ses premières réflexions sur la monnaie, ses rencontres avec les personnalités de premier plan de l'époque, la montée du marxisme dans le monde germanophone, l'ostracisme qu'il subissait en tant que libéral, la situation économique du pays, ses réflexions épistémologiques, et bien d'autres choses.


Ce que je trouve assez drôle dans la prose de Mises et qui est typiquement dans le style du bonhomme, c'est qu'à le lire, on a le sentiment qu'il est constamment entouré d'imbéciles, et qu'à quelques exceptions près, lui seul est intelligent. Tropisme courant chez certains génies germanophones, Schopenhauer est un autre exemple typique.


L'ouvrage comporte des anecdotes intéressantes — parfois drôle — sur Carl Menger, Eugen Böhm Bawerk, Max Weber (j'ignorais par exemple que Weber et Mises avaient été amis), Otto Bauer, John Keynes, Werner Sombart et bien d'autres.


Il ne manque pas non plus de réflexions intéressantes. Une de celle qui m'a le plus marqué est lorsqu'il explique, chapitre V [je spoile le livre, sachant que peu de gens le lirons] que malgré le fait qu'on lui fournissait moult informations personnelles sur des adversaires socialistes, liés souvent à des histoires de corruption, il se refusait toujours à les utiliser. Il estimait qu'en tant qu'économiste, il devait uniquement traiter des doctrines — leur justesse ou leurs erreurs — et non des hommes. Il ne devait pas tenir compte des intérêts personnels et au contraire partir du principe fictif que tout ses adversaires étaient impartiaux. Ce n'était pas son rôle de révéler les affaires de corruption de ses adversaires.
Certains lui reprochèrent cette attitude. Elle se distinguait radicalement de celles des marxistes, qui, a contrario, fondaient leurs argumentations sur des procès d'intentions envers ceux qui ne pensaient pas comme eux. Rien que de normal, puisque que le "matérialisme dialectique" auquel ils croyaient postule que les idées ne sont que le reflet des intérêts de classe, et que le rôle de la dialectique est de "dévoiler" ses intérêts, qui sont antagonistes avec ceux des autres classes. Selon eux, il y a ainsi deux logiques, la logique bourgeoise et la logique prolétaire ; chacune d'elle servant les intérêts de sa classe.


On apprend d'ailleurs dans cet ouvrage que c'est à Mises que l'Autriche doit d'avoir été épargné du bolchévisme, grâce à la relation qu'il entretenait avec Otto Bauer, le chef du parti social-démocrate. Est-ce que Mises, imbu de lui-même, exagère son propre rôle pour fabriquer sa propre légende ? Difficile de le savoir aujourd'hui.
On apprend également — je l'ignorais pour ma part — que l'Autriche était dans les années 30, le seul pays qui s'opposait réellement à l'Allemagne de Hitler. Les autres pays européens étaient paralysés par un lâche pacifisme.


Si ce petit livre comporte pas mal de choses intéressantes, et malgré tout l'intérêt que je porte pour Ludwig von Mises, je dois dire qu'il s'adresse plus spécifiquement aux personnes qui s'intéressent à l'Histoire de l'Autriche, et en particulier de l'Autriche de la première moitié du XXe siècle naturellement.

gio
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le 1 mars 2015

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