C'est en train de devenir une habitude en ce moment, mais me voilà à nouveau avec un romancier russe entre les mains. Et comme le précédent, il s'agit d'un roman estampillé SF, mais qui n'en pas vraiment un, ou plus exactement qui est à la frontière du genre.


Le récit se déroule à quelques années d'ici, dans un monde qui a été changé par de profonds bouleversements politiques et sociaux. Vladimir Sorokine focalise son roman sur l'Europe et la Russie et nous dépeint donc ce nouveau monde à travers une succession de chapitres sans réels liens entre eux, si ce n'est qu'ils se déroulent tous dans ce nouveau monde.


Du coup, quand je parle de récit, c'est en partie inexact. Chacun de ses chapitres nous fait suivre le temps de quelques pages un ou des personnages, mais on ne les recroisera jamais plus après. On découvre donc par petites touches, élément par élément, ce qui constitue ce nouveau monde à travers leurs expériences personnelles.


L'Europe se remet donc difficilement d'une grande guerre contre les islamistes wahabites qui, après avoir lancé une offensive conventionnelle depuis l'Asie centrale, ont été repoussé mais non sans avoir sonner le glas des gouvernements en place, et même des Nations tels que nous les connaissons. Même son de cloche pour la Russie qui a explosé en une Myriade d'États : Moscovie, République de l'Altaï, gouvernement communiste de l'Oural, Stalinie...


Le monde qui a émergé de ce chaos est donc morcelée, replié sur lui-même, dominé par des régimes autocratiques et/ou populaires. Les manipulations génétiques ont débouché sur la création d'hommes hybrides (personnel de petite taille ou au contraire géants, jouets sexuels, hommes-animaux....), et le monde s'est découvert une nouvelle drogue : le tellure, vendu sous forme de clou argenté. Ces clous, une fois enfoncés dans le cerveau de l'utilisateur, lui montre exactement ce qu'il veut voir au plus profond de lui. La drogue ultime donc, puisqu'elle satisfait tout le monde !


Et donc, chapitre après chapitre, se dessine petit à petit une nouvelle carte d'Europe, dans une ambiance quasi moyenâgeuse, et en un formidable kaléidoscope, finalement assez proche d'un monde post-apocalyptique. Tout cela paraît somme toute fort peu crédible (une attaque concertée de l'Europe et de la Russie par des armées wahabites d'Asie centrale, mouais), mais là n'est pas le propos.


Sorokine, qui a déjà eu de sérieux ennui avec le régime de Poutine (avec notamment des livres brûlés en place publique par les jeunesse poutinienne. Une vraie lettre de noblesse !), pousse j'en ai l'impression, certains raisonnement qui se peuvent tenir en Russie à leur paroxysme, et prend un malin plaisir à jouer avec tous les mythes nationaux de la Russie depuis l'époque tsariste. Sont ainsi convoqués les tsars, Lénine, Staline, Gorbatchev, Poutine, dans une formidable foire à l'encan nationaliste.


Le roman brasse donc très large, présentant un monde qui, sans être crédible comme déjà dit, sonne réaliste, et reprend et extrapole beaucoup de problématiques contemporaines, certaines spécifiquement russes (le regret du communisme, l'ultra-nationalisme, l'amour/haine avec l'Europe...) d'autres plus transnationale (peur de l'Islam, la tentation des extrêmes, le retour aux "racines chrétiennes de l'Europe"...).


Une mosaïque complexe donc, mais qui se lit plaisamment. Sorokine arrive à varier la langue de ses personnages et on change régulièrement de styles, de verve d'un chapitre à l'autre (mon coup de chapeau à la traductrice au passage, elle a dû se marrer). Un roman qui m'a plu, mais qui je pense peut être déstabilisant.

M_le_maudit
7
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le 9 mars 2017

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M_le_maudit

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