Quelques lignes en guise de critique, car les délais étaient un peu juste pour moi, et parce qu’on ne lit pas des ebooks (quel nom !) aussi facilement qu’on bon vieux roman, qu’on peut emporter et lire n’importe où avec soi.


Que dire de ce roman, ma troisième lecture pour le compte du Prix SC du premier bouquin ? Autant le nom de l’auteur de L’Eveil (Line Papin) ne me faisait pas rêver, du fait d’un anagramme malheureux, pas plus que celui de l’auteur d’Anthracite (Cédric Gras), qui me laisse indifférent, autant celui de Virginia Reeves est magnifique. Ah, Virginia, et Reeves de surcroît, quel beau nom. Il ne faut pas être fétichiste, le nom n’est rien, mais Virginia Reeves, c’est déjà tout un programme, rien que ce nom revêt pour moi un désir de lecture, là où Line Papin et Cédric Gras ne provoquent rien. Voyons ce que cela donne à la lecture d’Un travail comme un autre !


L’exergue mettant en avant ce que devrait être le travail de toute prison est attirante, on va nous parler de l’univers carcéral aux Etats-Unis, c’est prometteur et cela m’intéresse beaucoup. Le souci est que le roman ne répondra pas à cette promesse, ou en tout cas de façon beaucoup trop superficielle. Il ne faut jamais trop promettre.


La construction du roman est satisfaisante, quoiqu’un peu agaçante au début, avec ces nombreux allers-retours, mais on s’y fait, on accepte le chemin parce que les deux récits se rapprochent assez vite. On découvre la vie d’un homme, passionné par l’électricité, dont les erreurs vont l’amener jusqu’au pénitencier. On découvre ainsi la vie d’un détenu d’une prison ultra-moderne des années 1920, où on aménage la première chaise électrique de l’Alabama, perçue comme un progrès. Il y a la théorie, qui aurait fait de cette prison le lieu d’un véritable travail pour la réinsertion des prisonniers, avec l’ambition de permettre aux prisonniers de réellement pouvoir s’amender, de (re)devenir de bons petits citoyens, une belle utopie, sans doute, mais une ambition indispensable, assurément. Et puis il y a la réalité d’un système où l’arbitraire et la violence règnent en maître, loin des objectifs affichés, la dureté des prisonniers entassés dans les cellules, les abus des gardiens, la chasse à l’homme pour ceux qui tentent de quitter le navire prématurément, avec la mort à la clef, souvent.


Les prisonniers sont affectés à différentes activités, dans les champs, à la laiterie, à la menuiserie, l’on peut devenir superviseur, être en quelque sorte protégé pour sa bonne attitude avant de pouvoir sortir un peu plus tôt, mais cela n’évite pas forcément la violence des autres détenus. Les matons ne sont parfois que des hommes qui ressemblent aux taulard mais qui ont réussi à ne pas tomber du mauvais côté de la case prison, les hommes sont un peu tous les mêmes, finalement.


Le prisonnier rêve, c’est évident, ça tourne dans la tête en permanence : bien sûr, il pense à sa femme, à son enfant, et leur absence de réponses à ses lettres l’amène à imaginer tout et n’importe quoi, il croit voir Marie souvent, partout, mais ce n’est bien sûr que du vent. Il voit Marie à tout bout de champ, bien sûr, c’est évident, mais malheureusement, c’est un peu pénible pour le lecteur, trop répétitif, tout cela est probable, mais je n’ai pas vraiment réussi à entrer dans ce personnage, à m’identifier un tant soi peu à lui, quelque chose ne fonctionne pas trop, alors que le début m’était plutôt prometteur. Bien sûr qu’il doute, qu’il espère, qu’il rêve, même, mais Virginia Reeves nous fait tourner en bourrique, il aurait sans doute mieux valu des pistes, même mauvaises, que tous ces questionnements sans réponse. Le lecteur s’impatiente, parfois, et quand les réponses arrivent, c’est alors souvent trop tard !


Ce qui m’ennuie un peu c’est qu’on est beaucoup dans le rêve, et c’est logique, Roscoe est enfermé, comment pourrait-il ne pas rêver, imaginer la vie des autres, de sa femme, de son fils, de Wilson dont il est responsable de la condamnation ? Et en même temps ces divagations ne m’ont pas intéressé, il n’y a là rien d’étonnant, on n’apprend rien d’autre que ce que l’on sait déjà, c’est assez ennuyeux. L’imaginaire est important, le rêve aussi, bien sûr, mais c’est plutôt le réel qui m’intéresse. Tout le reste n’est ici que projections sans grand intérêt à mon avis, je n’ai pas été intéressé par le sentimentalisme exacerbé d’un prisonnier qui croit encore qu’après neuf ans sans nouvelles de sa femme, celle-ci sera là à sa sortie de prison…


L’ouvrage est dans l’ensemble très bien construit, bien rythmé, et l’intérêt du lecteur renait lorsque Roscoe sort enfin de prison, on est avide de savoir ce qui s’est passé depuis son incarcération et comment va se passer son retour sur les terres de sa ferme. Si l’exergue avait suscité une attente qui fut déçue sur la question de la prison, Virginia Reeves nous récupère pour son final, que j’ai toutefois trouvé un peu bref, d’autant plus que les personnages de Marie et Gérald ne sont pas assez creusés, on a un peu l’impression que des aspects intéressants ont été mis de côté au profit de la relation de Roscoe et de sa chienne ; l’impression que Virginia Reeves a un peu égaré l’essentiel par rapport à de longs passages peu intéressants : Marie aimait beaucoup les oiseaux, et Virginia Reeves emploie trop souvent des analogies avec ces oiseaux, au point que c’en est fatigant ; Roscoe travaille au chenil de la prison, et je dois dire que cela m’a beaucoup ennuyé, je n’aime pas les chiens et ces longs passages m’ont aussi agacé, même si la description des chasses à l’homme était assez glaçante.


Malgré ces défauts, le roman est intéressant et plutôt agréable à lire. Un roman comme un autre, donc. Ce n’est déjà pas si mal, au moins est-il écrit correctement! Un premier roman assez prometteur, malgré les maladresses.

socrate
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le 2 oct. 2016

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