Une nouvelle conscience pour un monde en crise par CathyB

Ambitieux et très bien documenté, cet essai de Jeremy Rifkin nous propose de relire l'histoire de l'humanité à la lumière des récentes découvertes sur les mécanismes de l'empathie. Il s'attache à contredire l'idée communément admise selon laquelle l'homme est profondément égoiste, et cherche avant tout à satisfaire ses propres intérêts. S'appuyant sur les récentes découvertes scientifiques concernant les neurones miroirs, et les travaux en psychologie autour du lien et de l'attachement, il affirme au contraire que l'empathie a toujours été une donnée déterminante de la nature humaine et de son évolution. Il s'inscrit donc en faux par rapport à toute une tradition philosophique qui a fait de l'intérêt le moteur principal de l'action humaine, et de la raison la seule planche de salut (il est à cet égard très critique vis à vis des philosophes des Lumières).

Pour lui, l'histoire de l'humanité peut être lue comme la tension entre empathie et entropie (l'entropie désignant la disparition de l'energie disponible à l'uilisation - mais c'est un concept scientifique que j'ai du mal à comprendre et que Rifkin explique très bien). En effet, chaque grande étape de l'histoire des civilisations s'appuie sur un développement des techniques d'energie/communication. Ce progrès permet à la conscience empathique de faire un bon en avant. Mais dans le même temps, tous ces développements amènenent une augmentation de la population, et de la consommation d'énergie. Arrive alors le moment où la quantité d'énergie disponible ne suffit plus à assurer la survie de la civilisation concernée.
Avec le développement de l'Internet, de l'interconnexion mondiale, et les inquiétudes liées au réchaffement climatique et aux resources naturelles disponibles, cette tension a aujourd'hui atteint un stade critique.

Une fois ses concepts de base posés, Rifkin se lance dans une grande relecture de l'histoire humaine à l'aune de ses théories. Il distingue différents types de civilisations, liés àchaque fois à un progrès technique donné, et à laquelle il associe un stade de développement de la conscience. Il termine par un état des lieux très complet du monde actuel.


Sur une réflexion de cette ampleur, tout n'est pas d'un intérêt égal, d'autant plus que l'auteur explore de nombreux champs au gré de sa réflexion.

Ce qui frappe avant tout, c'est la qualité et la quantité de documentation que Rifkin utilise. Il cite de nombreuses études ou oeuvres et fait appel à tous les champs du savoir humain : physique, psychologie, psychanalyse, philosophie, littérature... C'est un concentré de culture générale, et on apprend une foule de choses au fil de la lecture. Ensuite, il offre un point de vue novateur sur l'histoire des civilisations, et replace les problèmes environnementaux ainsi que les émotions humaines au centre de l'histoire.
Quand il s'attaque à notre époque, il offre un regard nuancé sur les modifications profondes apportées par Internet à notre manière de vivre et de penser. Ni optimisme béat, ni condamnation de la génération facebook, il se contente de remarquer les changements positifs et négatifs que cela induit, en soulignant notre incapacité actuelle à savoir si cela va évoluer vers du bon ou pas.

En revanche, sur un tel pavé, on n'échappe pas à des longueurs et des répétitions. Plus gênant, Jeremy Rifkin se lance parfois an aparté dans des développements contestables, avec affirmations peu étayées (la partie sur l'expérience incarnée est particulièrement déstabilisante. Alors que dans les chapitres précédents, Rifkin cite toutes ses sources de manière très détaillé, il se contente ici de faire référence "aux philosophes de l'expérience incarnée", de telle manière dont on ne sait plus très bien qui parle : lui ou ses sources ?). Il s'appuie également sur de nombreuses théories, dont il me semble que certaines sont aujourd'hui contestée (je pense notamment à la théorie écologique du climax, que je croyais avoir été dépassée). Enfin, il fait de nombreuses références au modèle européen, d'une manière qui me semble exagérément optimiste. Il en vante les nombreux mérites, sans jamais mentionner les disparités qu'on peut trouver d'un pays de l'Union à un autre, ni la crise politique qui secoue les instances européennes depuis quelques années.


Quoi qu'il en soit, Jeremy Rifkin relance de manière brillante la réflexion sur le monde moderne. Son texte est foisonnant, et évoque une foule de questions qu'il est impossible de lister ici. Citons en vrac : la montée du matérialisme et de l'individualisme, la place des émotions (et pas seulement de la raison) dans le progrès humain, l'évolution et les enjeux de l'éducation des enfants, la nécessaire refonte du système de distribution d'énergie, l'importance aujourd'hui de la notion de "qualité de vie" (dans une réflexion qui n'est pas sans rappeler celle de Jean Viard : http://www.senscritique.com/livre/Nouveau_portrait_de_la_France_La_societe_des_modes_de_vie/425974). A chaque fois, il nous offre de nouvelles pistes de réflexion pour tenter de penser ces concepts autrement.


Pour finir, voici une citation qui reflète bien la tension empathie/entropie telle que Rifkin la définie, ainsi que sa vision des enjeux du monde moderne :
"Les données montrent que nous assistons à la plus grande poussée empathique de l'histoire de l'humanité. Mais cette poussée est essentiellement limitée aux populations prospères des pays les plus développés et aux enclaves de classes moyennes dans les pays en développement. Une fois de plus, le grand bond de la conscience empathique est rendu possible par des expropriations massives d'énergie et d'autres ressources de la planète. C'est ainsi que l'on parvient au niveau de sécurité économique qui permet aux individus de passer des valeurs de survie aux valeurs matérialistes et enfin à celles de la qualité de la vie. Un meilleur bien-être économique assure la sécurité nécessaire pour se sentir plus confiant à l'égard de ses semblables et porter plus d'attention au monde naturel. Malheureusement, ce grand bond de la conscience empathique repose sur la marée entropique qui est en train de dévaster la planète et d'appauvrir encore plus une grande partie de l'humanité."
CathyB
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Penser le monde - mes lectures documentaires

Créée

le 9 août 2012

Modifiée

le 27 sept. 2012

Critique lue 217 fois

6 j'aime

CathyB

Écrit par

Critique lue 217 fois

6

D'autres avis sur Une nouvelle conscience pour un monde en crise

Une nouvelle conscience pour un monde en crise
fabricedupuy
10

Critique de Une nouvelle conscience pour un monde en crise par fabricedupuy

Une oeuvre qui pourrait (devrait?) marquer le XXIème siècle et les suivants, autant que le nouveau Testament au début du premier millénaire ou le 'Discours de la méthode', au XVIIème siècle. Jeremy...

le 9 nov. 2011

3 j'aime

Du même critique

Les Hauts de Hurle-Vent
CathyB
7

Fascinant Heathcliff

Difficile de rentrer dans ce livre de prime abord. Une langue un peu pompeuse, des dialogues très grandiloquents, une atmosphère morose à souhait... Et puis petit à petit tout se met en place. Il...

le 3 sept. 2011

17 j'aime

1

Faut-il manger les animaux ?
CathyB
10

Enthousiaste et perplexe

Dans ce livre à thèse, Jonathan Safran Foer nous expose les raisons qui l'ont poussé à devenir végétarien. Pour ce faire, il se livre à une réflexion protéiforme, qui mêle une enquête détaillée sur...

le 14 janv. 2012

15 j'aime

2

Game of Thrones
CathyB
9

Critique de Game of Thrones par CathyB

Je ne sais pas vraiment par où commencer ma liste d'ovations dithyrambiques et enflammées pour cette série, tant il y a à dire. N'ayant pas lu les romans de Georges R. R. Martin, je l'ai abordée avec...

le 22 sept. 2011

13 j'aime

5