"Caïn se retira de devant l'Éternel, et séjourna dans le pays de Nôd, à l'est d'Éden."

Considéré par l'auteur comme son chef-d'œuvre, l'aboutissement de toutes ses idées, A l'Est d'Eden est sans surprise une véritable fresque californienne aux accents bibliques.

Le parallèle incessant avec l'histoire d'Abel et Caïn n'est pas dissimulé et même totalement assumé, ce qui froissa quelque peu les critiques à la sortie du livre. L'un des frères sera donc plus mat, travaillera la terre et aura une cicatrice tandis que l'autre sera plus doux et aimé de son père. Ce fil dégage le thème central du livre. S'il s'agit de la lutte du bien contre le mal, le combat se fait avant tout en soi et toute la tragédie se trouve dans la culpabilité de Caïn qui aurait souhaité une fatalité plus douce à porter. Liberté contrastant d'autant plus avec l'exemple d'un "monstre" dénué de cette liberté. Tout réside dans le "timshel" ("tu peux") humaniste. Le lecteur ne devant jamais perdre de vue que, selon l'histoire, nous descendons tous de Caïn.

Si l'ouvrage n'a pas la profondeur sociologique de ses autres chefs-d'œuvre comme les "Raisin de la colère" ou "des Souris et des hommes" ni leur puissance narrative du fait même de sa longueur, A l'Est d'Eden peut alors prendre son temps pour construire soigneusement l'ambiance ensoleillée de la vallée de Salinas déjà évoquée de façon impressionniste dans ses recueils de nouvelles, la richesse de ses paysages et de ses personnages.
Ces derniers offrent de longues palabres sur maintes thématiques chères au californien : le travail de la terre qui rappelle le panthéisme d'Au Dieu inconnu, le voyage vers l'ouest, le pouvoir sacré, presque magique de la parole, l'amitié virile, les difficultés de l'intégration, les thématiques bibliques, etc. Bien que parfois le procédé se fasse artificiel et que, comme on lui a souvent reproché, la voix trop subtile de Steinbeck transparaisse dans la bouche de simples paysans... L'on s'imagine toutefois fort aisément participer à l'une de ces discussions estivales de fin de journée, légèrement enivrés et buvant du thé chinois à l'ombre d'un sycomore. Difficile donc de ne pas s'attacher à tous ces personnages, terriblement humains, tout particulièrement les touchants Samuel et Lee.

L'histoire aussi captivante soit-elle connaît néanmoins un certain ventre mou lors du "passage" de génération et donne l'impression que cette partie facultative aurait parasité le segment des frères, voire une autre génération...C'est en effet un supplice après avoir partagé la vie de cette vallée sur plusieurs décennies de devoir s'en séparer !
Une atmosphère, un microcosme, que l'on peut retrouver bien entendu dans les autres œuvres de Steinbeck mais également dans la série HBO Carnivàle qui rejoue lui aussi le combat du bien et du mal au fil de générations dans la Californie du début du siècle.
Nushku
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le 4 juil. 2011

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Nushku

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