Oh, là, là… Quel chahut, mes enfants ! Et quelle rigolade ! Ah, ce n’est pas Lourdes, non ! Quand on est du Sud-Ouest, pèlerinage égal Lourdes… Recueillement, mine contrite, eau bénite, Sœur Sourire et Ave Maria !...
Ici, c’est tumulte, bousculade, bonne humeur et fanfare … Mais ici, c’est l’Amérique latine, sous la fournaise de l’Équateur… Michel Julien nous entraine dans un pèlerinage échevelé où chaque pèlerin, pendant « une grande journée d’octobre, une journée qui en durerait deux, le samedi et le dimanche réunis en un jour, une entorse à l’année », s’accroche à son vœu sur le chemin de la Sainte miraculeuse.


Michel Julien est né en 1962 près de Paris. Après une formation de tourneur-fraiseur, il entreprend des études littéraires ce qui lui permet de transformer son "service militaire" en mission de coopération à l’Université fédéral du Pará, à Belém, non loin de l’embouchure de l’Amazone. De retour en France, il fait ses premières armes dans l’édition. En marge des livres, en marge de l’édition, il s’adonne à sa plus grande passion : la montagne. Il cesse l’escalade à quarante-cinq ans et se consacre à l’écriture. Il vit aujourd’hui à Paimbœuf, en Loire-Atlantique.
Andrea de dos est son onzième ouvrage (Lire "Andrea vue de dos").
L’histoire est inspirée d’une fête religieuse catholique du nord du Brésil : Le Círio de Nossa Senhora de NazaréCierge de Notre-Dame de Nazaré »), ou Círio de Nazaré qui rassemble plus de deux millions de personnes chaque année dans la ville de Belém, dans l'État du Pará. C'est l'une des plus grandes fêtes catholiques au monde.


https://www.mariedenazareth.com/encyclopedie-mariale/la-vierge-marie-remplit-le-monde-sanctuaires-marials/ameriques/bresil/belem-notre-dame-de-nazareth/


L’histoire raconte qu’au début du 18ème siècle, Placido José de Souza, un habitant de la périphérie de Belém, la grande cité amazonienne, trouve une statue de Notre Dame de Nazareth (Nazaré en Portugais) près de la rivière Murucutu. Il l’emporte chez lui, mais le lendemain matin, la statue a disparu. Elle est retournée au bord de la rivière. La scène se reproduit inlassablement jusqu’à ce que Josè entreprenne de bâtir une chapelle sur le lieu où se trouvait la statue [...]
Le Círio
Chaque année, le deuxième dimanche d’octobre, une procession est organisée en son honneur : le Cirio. La fête dure deux semaines.
La première, organisée en 1793, a été suivie par quelques centaines de fidèles.
Au XXI° siècle, ils sont un ou deux millions, selon les années et les sources.
Quand le deuxième dimanche d’octobre arrive, préparez-vous pour connaître un véritable acte d’amour et de foi [...]
La procession du Círio commence à 7 heures du matin, et parcourt 6 km de rues dans la ville de Belém, depuis une petite chapelle jusqu’à la cathédrale et basilique de Belém. Pendant 4 heures, au son des prières et de chants monocordes, de saluts avec des pluies de papier et de roses et beaucoup d’émotion, la multitude accompagne le char orné qui transporte la Vierge.
Parallèlement, deux cents embarcations organisent la procession sur les eaux brunes du fleuve avec des bateaux ornés de fleurs et des feux d’artifice.
La Trasladação. A 6 heure du soir, un cortège très impressionnant s’organise : la statue de Notre Dame de Nazaré est placée dans une berline tractée par une corde longue de 350 mètres tirée par les pèlerins. Représentation du lien avec la Vierge, cette corde revêt un caractère sacré.
Les pèlerins sont parfois souffrants, et parfois exultant. Certains entreprennent de suivre la procession en portant une croix, ou en se déplaçant à genoux. On allège la peine des premiers en leur offrant à boire car la chaleur est accablante et des seconds en disposant des cartons sur le trajet. Le sentiment religieux s’exprime de façons différentes : en se surpassant pour la Vierge et en appuyant les efforts d’autrui [...]


Alors ?
Dans un entretien – à lire absolument APRÈS lecture du livre – (https://diacritik.com/2022/01/13/michel-jullien-le-personnage-central-du-roman-cest-la-foule-la-multitude-andrea-de-dos/) l’auteur nous confie que « Ce court roman est passé par bien des états, réécrit quatre ou cinq fois. Une première version de quelque trois cents pages mettait en scène quatre personnages principaux attelés à la corde. Le résultat pêchait, la dynamique clochait. […] Il fallut tout reprendre encore, ramener l’ensemble à deux personnages, finalement la bonne mesure. Certes ces deux personnages sont antithétiques mais parfaitement complémentaires. »


Deux personnages ? Les deux sœurs Ezia et Andrea, « une ethnologue et une championne de fer ».
Ezia est l’étudiante en ethnologie, elle s’occupe de dévotion populaire – les médailles miraculeuses, les reliquaires, les ex-voto –, quant à sa cadette, Andrea, elle sera kinésithérapeute, c’est une athlète, une lanceuse de poids, de marteau et de disque… « Deux sœurs coffrées, plus que mûres de poitrine sans vrai partage d’un sein à l’autre, un grand bossoir au buste, des seins peu situés, très haut et très bas à la fois, de consistance indéfinie. »


Où l’action se passe-t-elle ? Quelque part en Amérique du Sud, sous l’équateur, dans « un pays où le crépuscule est avalé d’un trait, tôt le soir, à l’instant de la minuterie équatoriale, comme s’il était soudain minuit au passage de dix-huit heures ; un pays au chauvinisme exaspérant, dispensé de fuseaux horaires, exonéré de solstices, de mer, de marées, d’application des lois, un pays d’une pièce et « sans bavures » sorti des années de poix, où l’intimidation agraire reçoit le blanc-seing du népotisme institutionnel résumé en une initiale – "Bible, Bakchich, Barillet" –. » Ou encore "Balles, Bœufs, Bible", autrement dit les militaires, les grands propriétaires terriens et les Églises évangéliques…


C’est sous cette triade torride qu’a lieu, chaque année, début octobre, le grand pèlerinage de la Vierge de Jabuti Queimado, dont l’origine remonterait au 25 septembre 1801 où la statuette de la Sainte serait apparue dans les filets d’un pêcheur pour disparaître le lendemain et réapparaître dans le filet, et ainsi de suite, d’où la corde pour empêcher ses vagabondages… la fameuse corde – qui mesure, maintenant, trente-trois kilomètres – que doivent cramponner les pèlerins durant tout leur pèlerinage votif… Trente-trois kilomètres de corde à suivre en ne la lâchant pas pour atteindre la Sainte, « une statuette polychrome, en bois, cinquante centimètre de haut, couronnée, un bras en moins, un œil délogé, un autre en verre, une bonté répondant au nom complet de Nossa Senhora Aparecida do Jabuti Queimado. C’est à ses pieds qu’on rendra son vœu, les bouts de papier et les répliques en plâtre peint. Elle l’exaucera, elle comble chaque prière à condition que les doigts du pèlerin soient restés sur la corde tout au long du chemin, sans jamais lâcher. Un relâchement, le moindre écart, une fatigue regrettable et c’est perdu pour cette année, la sainte est stricte, charitable autant que tatillonne. »


C’est dans cette aventure quasi picaresque que se sont lancées les deux sœurs Ezia et Andrea, porteuses de vœux pour la guérison de leur mère, malade. Les voilà plongées dès le début dans un tourbillon bruyant de kermesse grouillante : « On l’entendait, un orchestre lancinant au débouché de la gare, une musique vautrée. On l’entendait de loin, l’harmonique donnait la mesure du pas, de la masse, elle grossissait à l’oreille, des notes grasses, une mélodie de goudron frais, espèce d’estomac musical dissimulé par la cohue. La fanfare enchaînait la même partition, potelée, des notes au cholestérol. Debout à l’estrade, une trentaine de musiciens jouaient un rythme digestif, avec des instruments à gros pavillon, beaucoup de laiton et de cames nickelées, d’énormes touches en boutonnière lustrées par les doigts… » Il faut du bruit, du raffut, du mouvement, de la bousculade, c’est un pays démonstratif qui raffole des frasques, de l’exotisme, un pays aux furieux enjouements, au tapage sans frein, haut en couleur, aux mouvements saturés et au "grand rire national". « En plus des saveurs exotiques, des variétés juteuses, des musiques empilées, en plus de l’inflation, des mysticismes, des stupéfiants, des cultes animistes, des églises évangélistes, en plus des armes illicites, des trafics charnels, des viols, des pots-de-vin et des réseaux frauduleux jusque dans les arcanes du Congrès (surtout là), il faut au pays une touche perpétuelle d’excès festif. » Mais en plus de tout cela, ou à cause de tout cela, la violence est toujours prête à éclater au moindre déclic…
Alors, les sœurs parviendront-elles à déposer leurs vœux aux pieds la Sainte ?...


Mesdames et messieurs les fins lettrés, amoureux des Belles Lettres, passez votre chemin, je crains fort que cette littérature ne soit à votre goût – ou à votre portée –, bousculés, chahutés hors des routes glorieuses de la belle rhétorique j’augure quelques nausées intolérables dues à un dépaysement beaucoup trop brutal…
Quant à moi, j’ai adoré, abasourdi, mais adoré !

Philou33
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes B - As de Cœur, Q - FRAGMENTS et S - RYONZAN !

Créée

le 13 févr. 2022

Critique lue 75 fois

1 j'aime

4 commentaires

Philou33

Écrit par

Critique lue 75 fois

1
4

D'autres avis sur Andrea de dos

Andrea de dos
Charybde2
8

Critique de Andrea de dos par Charybde2

La réjouissante plongée au cœur de la foule extravagante et ordinaire d’un pèlerinage religieux où il s’agit avant tout, pendant plusieurs jours, de ne pas lâcher LA CORDE. Une réjouissante et...

le 24 janv. 2022

Du même critique

L'Anomalie
Philou33
7

À lire sans tarder… et pour cause !

… Car je ne pense pas trahir un quelconque suspense en soulignant que l’action de "L’Anomalie" se déroule en juin 2021 (Cf. quatrième de couverture) et donc tout ce qui n’est pas advenu peut encore...

le 13 déc. 2020

17 j'aime

5

Les Choses humaines
Philou33
4

OUI pour le fond ! NON pour la forme !

C’est générationnel (Je suis un VIEUX C…). Je n’aime pas les histoires de cul ! Je n’aime pas les histoires où on « fait l’amour » comme d’autres font des cauchemars. Mais, à en croire l’auteure,...

le 13 nov. 2019

14 j'aime

11

Le Bug humain
Philou33
10

L’Homme : ennemi mortel pour l’homme

ATTENTION, ceci n’est pas une "Critique". D’ailleurs je ne m’octroie pas le droit d’émettre des critiques, tout juste des commentaires. Ici, ce serait plutôt un billet d’humeur. Dans ce cercle...

le 20 mars 2020

11 j'aime

5