La préface de la « nouvelle édition augmentée » revient sur la réception de l’ouvrage, et sur la façon dont, comme souvent, les thuriféraires d’un artiste ont pris comme des attaques personnelles celles dirigées contre leur idole. On n’est pas obligé de se laisser bercer par le léger parfum de scandale dont l’auteur – et ses éditeurs ? – aime entourer son ouvrage. Mais, assez paradoxalement pour un livre qui porte un tel titre, la quatrième de couverture ne porte pas que des conneries racoleuses : Hector Obalk propose en effet « un jugement esthétique négatif, sans que jamais sa prose ne verse dans le pamphlet idéologique ou le jugement péremptoire ». Rarement, d’ailleurs, un titre n’aura annoncé si clairement le propos.
À la différence de l’auteur d’Andy Warhol n’est pas un grand artiste, si je n’aime pas Warhol, c’est aussi pour des raisons idéologiques – je développerai si j’ai le temps. Mais tout comme lui, je me garderai de tout propos idéologique si je voulais en convaincre autrui dans le cadre d’une discussion sur l’art. (Peut-être qu’en réalité Obalk adopte la même tactique.) D’ailleurs, l’ouvrage ne s’intitule pas « Andy Warhol est un suppôt du capitalisme »… Je partage son idée que « certains critiques […] considèrent l’œuvre d’un artiste comme une pure intention et ignorent souverainement la réalité des tableaux – qui seule devrait compter » (p. 27 de la réédition « Champs Flammarion »), ou encore que « la seule chose qui compte, en art, ce n’est pas le concept qui génère les œuvres – celui dont on peut parler avec éloge ou mépris sans avoir vu les tableaux – mais celui qui ressort des œuvres, une fois qu’on les a vues. » (p. 86).
Mais la véritable différence entre Obalk et moi, c’est qu’il est familier de l’œuvre de Warhol ; et donc, il aide à regarder les tableaux. J’ai bien essayé, dans le temps, d’élargir une connaissance qui se limitait à quelques sérigraphies – Marilyn, Campbell’s Soup, Electric Chair – et à une paire de pochettes de disques. Les livres et les articles sur lesquels j’étais tombé ne constituaient finalement qu’un gigantesque exercice d’admiration, voire de vénération – pour ne pas utiliser encore un autre mot en -tion – collective de la Personne du Maître : ces textes n’expliquaient rien. (Quant à Ma philosophie de A à B, je me suis arrêté au milieu du A, trouvant plus de choses intéressantes dans la Cuisine familiale en 200 recettes ou dans la Vie des acariens.)
Hector Obalk, donc, montre une connaissance approfondie de l’œuvre du plus célèbre des Américains d’origine ruthène. Ce qui paraît le minimum quand on critique un sujet. Ce qui devrait aller de soi mais ne va pas de soi. Il connaît également le milieu de la publicité – où l’on pourrait reparler idéologie… – et s’en sert. Parmi les thèses qu’il développe figure celle selon laquelle Warhol manifeste davantage de talent comme publicitaire, et ceci à tous les maillons de la chaîne, direction artistique, conception-rédaction, que comme artiste : « Ainsi, si nous avons comparé la segmentation des compétences warholiennes à celle des différents auteurs d’une création publicitaire, ce n’est pas pour tirer profit d’un dénigrement communément admis de la publicité, du commerce ou du vedettariat, mais pour montrer que l’œuvre de Warhol, relevant de la même division du travail et des mêmes structures créatives que celles de l’industrie publicitaire, jouissait alors tout naturellement des mêmes avantages – adoucissement des affres de la création, présence sécurisante d’un concept directeur, efficacité des effets de séduction… – qui sont autant de faiblesses pour une œuvre » (p. 157-158).
C’est-à-dire que l’auteur explique pourquoi il ne considère pas Warhol comme un grand artiste en utilisant des arguments qu’un autre pourrait utiliser pour dire le contraire. En d’autres termes, par un de ces petits miracles de dialectique qui se produisent quant une étude esthétique est suffisamment fouillée, les éléments proposés par l’analyse – et donc dans un sens la défense ! – menée ici sont au moins aussi convaincants que tous ceux que plus d’un aficionado de Warhol pourrait proposer !
Comme Andy Warhol n’est pas un grand artiste ouvre par ailleurs d’intéressantes pistes de réflexion sur les arts majeurs et mineurs, on peut même le lire sans accorder le moindre intérêt à Warhol.

Alcofribas
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le 7 sept. 2017

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