J’ai toujours un peu de mal à croire que Sophia-Antipolis, technopole et ville nouvelle à la lisière d’Antibes et Valbonne, ait pu un jour être un fleuron futuriste : pour moi, qui ai grandi dans le coin dans les années 90-2000, Sophia-Antipolis c’est un trou dans la carte, un endroit qu’on ne fait jamais que contourner faute d’avoir quelque chose à y faire, « un ensemble retranché du territoire ».
Je m’attendais donc en lisant Antipolis à y trouver l’histoire d’une utopie techniciste un peu pétée des Trente Glorieuses (j’en raffole), un peu comme celle de l’aérotrain racontée par Aurélien Bellanger ou celle de la Grande Arche racontée par Laurence Cossé. On n’en est pas si loin, mais j’y ai aussi trouvé l’histoire de l’amour d’un homme pour une idée et pour une femme ; l’histoire édifiante de toutes les fondations de ville, qui sont des actes de création autant que des gestes d’anéantissement ; l’histoire de tout ce « passé compacté » que l’on piétine tous les jours, au propre comme au figuré ; une histoire de silences, celui de la forêt que le chantier détruit, et celui qu’on impose inlassablement à ceux qu’on déplace et qu’on soumet.
Nina Léger glisse tout ça et bien plus dans un petit livre précis et sensible sur cette ville que l’on croit sans histoire ni mémoire, simplement parce qu’il est si facile d’effacer les histoires qui nous embarrassent. Un livre brillamment mené qui, juste au moment où l’on commence à se laisser bercer par les rêves de Sagesse et d’Harmonie, nous tire le tapis sous les pieds pour nous plonger dans l’incrédulité et l’indignation et enfin nous cueillir dans un dernier mouvement poétique.