Le final rachète un peu la déception d'ensemble

L’étoile Marche-Arrêt est une énigme. Elle s’éteint pendant deux cent quinze ans puis se rallume pour trente-cinq ans. Bravant cette difficulté, une civilisation techniquement avancée a néanmoins réussi à se développer sur la seule planète de ce système solaire. Elle est habitée par des araignées intelligentes actives pendant les périodes d’allumage de l’étoile et entrant en hibernation lors de son extinction. Cette civilisation arachnide a atteint un stade d’évolution similaire à celui de la Terre du début du XXe siècle. Leurs signaux radios attirent deux expéditions interstellaires. Celle des Qeng Ho, un peuple marchand et itinérant qui parcourt l’espace en vendant et en achetant des informations, des technologies et des matières premières. Et celle des Emergents, issus d’une civilisation violente et sadique animée par une volonté de conquête, et qui utilisent une technologie unique permettant de créer, à partir d’un virus spécial, des humains Focalisés, asservis comme des machines. Quelques années avant le réveil de l’étoile Marche-Arrêt, les deux flottes se rencontrent à proximité de la planète des araignées. Après avoir feint une volonté de collaboration, les Emergents passent à l’attaque et prennent le contrôle des vaisseaux Qeng Ho. Mais ils essuient de lourdes pertes, et les survivants des deux camps vont être obligés de collaborer pour atteindre leur objectif : prendre contact avec les araignées, dès que celles-ci auront atteint le niveau technologique permettant de réparer leurs vaisseaux.


Au tréfonds du ciel rassemble tous les ingrédients d’un bon space opera : un mystère astrophysique, des empires galactiques, un combat de croiseurs interstellaires, la rencontre de cultures que tout oppose, une race extraterrestre fascinante, une saga familiale, politique et sociale qui s’étend sur plusieurs millénaires, et les innovations technologiques qui rendent possibles tous ces éléments. Les personnages principaux sont nombreux, denses, variés, et leurs interrelations sont plutôt fines. De plus, l’histoire qui nous est racontée, en dehors des évocations du passé parfois très lointain, s’étend sur plusieurs décennies. Cela permet de donner une ampleur remarquable à la narration. Vernor Vinge a donc brillamment réussi à rassembler tous les éléments nécessaires à un excellent roman. Malheureusement, c’est là que s’arrête son talent.


La structure du roman comprend, de manière assez classique, deux parties distinctes qui se chevauchent et finissent par se rencontrer. La première suit l’évolution de la base orbitale où cohabitent Emergents, zombies focalisés et Qeng Ho. Les aspects techniques de l’aménagement des différentes parties du satellite sont confus, et on perd très vite ses repères. Les rapports entre les personnages évoluent très lentement, et c’est assez rapidement la lassitude qui l’emporte. On finit par se désintéresser totalement du destin de la plupart des protagonistes, d’autant plus qu’on découvre très vite qui sont les gentils (soit très intelligents et meneurs de la Résistance, soit victimes des plus odieuses manipulations), et qui sont les méchants (soit très intelligents et d’une cruauté sans nom, soit très bêtes et… d’une cruauté sans nom également).


La seconde partie nous emmène sur la planète arachnide, et elle s’avère encore plus décevante. Si l’auteur choisit de nous immerger dans une civilisation d’araignées, il évacue entièrement tous les éléments qui pourraient déconcerter le lecteur, qui doit donc subir des araignées qui portent des vestes (?), haussent les épaules (??), s’accoudent au bar (???)… Cette humanisation forcenée trouve même une justification dans les derniers chapitres du livre, justification qui s’avère bancale, inutile, facile et plutôt de mauvaise foi. De plus, aucun espoir de dépaysement grâce aux attitudes et aux comportements : les araignées qui peuplent cette planète à l’autre bout de la galaxie ont des réactions typiques de l’Américain moyen des années ’50. Affligeant. Rayon politique, nous sommes également en terrain connu : un bloc de gentils très intelligents, un bloc de méchants très bêtes, et un bloc de pauvres manipulés. Là aussi, la vision politique de l’Américain moyen de l’après-guerre saute aux yeux. On n’échappera même pas à la mise en scène de la phobie de la guerre nucléaire dans les derniers chapitres.


Ce roman est long, très long (près de 1.000 pages en format livre de poche). On se demande bien pourquoi il est nécessaire de se transporter aussi loin dans le temps et dans l’espace pour assister à une histoire aussi dépourvue d’exotisme et de surprises. Pourtant, ce livre contient de bonnes idées, une mise en place réellement intéressante, et les 200 dernières pages ravivent énergiquement l’intérêt du lecteur à coup de rebondissements enfin véritablement surprenants.


Au tréfonds du ciel a reçu le prix Hugo du meilleur roman en 2000. Il prouve par l’absurde que rassembler les meilleurs ingrédients ne dispense pas de disposer également de la recette adéquate et d’un bon cuisinier. Même si le final s’avère digne d’un bon space opera, on reste songeur en imaginant ce qu’un Iain Banks, par exemple, aurait pu faire de cette histoire…


https://olidupsite.wordpress.com/2018/03/27/au-trefonds-du-ciel-vernor-vinge/

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le 27 mars 2018

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