De l'eugénisme à la sauce du Grand Maulnes

Quel étrange atmosphère dans roman... Le contraste étonnant entre les sujets abordés (le clonage, une certaine forme d'eugénisme, les progrès de la science) et le style, qui n'est pas sans rappeler des bouquins du 19e. Au début, les descriptions idylliques d'Hailsham se succèdent : l'endroit est splendide, il fait beau, les élèves évoluent dans la nature, ils créent, ils font du sport, les gardiens prennent soin d'eux... Et pourtant, on tique. Une impression fugace, une phrase tournée d'une certaine manière, un comportement bizarre. Il se trame quelque chose. Mais les élèves sont trop jeunes, ils ne se doutent de rien, et nous non plus. On préfère se laisser happer par les relations entre les personnages, par les mois et les années qui défilent, les petites anecdotes qui déchirent le voile, peu à peu. La vérité est lente à apparaître et même ainsi révélée, on doute, comme nos protagonistes.

Le roman s'articule en trois parties et chaque fois le ton est moins joyeux, plus triste, plus résigné, au fur et à mesure que le destin de l'héroïne se profile, qu'Hailsham s'éloigne et semble de plus en plus inaccessible. Ces clones à qui on a volé leur avenir, leur vie même, vivent à travers le rêve de leur enfance dorée, qui aura marqué leur existence à jamais. Kathy, la narratrice, ne cesse de parler en "nous" tout au long du roman et c'est bien de cela dont il s'agit : Hailsham est une grande famille, leur unique famille, et on n'en sort jamais complètement. La suite, les dons, les accompagnements, les rencontres... rien ne compte : il y avait Hailsham, et puis plus rien.

Au fil des mots empreints de nostalgie, on apprend à cerner les protagonistes. Ruth la colérique, son besoin d'intégration désespérant, ses manipulations doublées de gentillesse, parfois ; Tommy le rêveur, pas tout à fait à sa place ; et Kathy si fine et si docile. Même Madame finit par nous sembler humaine. Au fond, ils ressemblent à des enfants normaux, puis à des adultes normaux. Ils s'aiment et se détestent, ils s'interrogent sur leur place dans le monde et cherchent, eux aussi, douceur et compréhension.

Je ne quoi tirer comme conclusion de ce roman, mais j'ai beaucoup apprécié, notamment pour son style très pictural et pour la profondeur simple de ses personnages et des souvenirs qu'il évoque. Auprès de moi toujours réussit à parler de la mélancolie et de la nostalgie sans pour autant parler de lourdeur, ni même assombrir l'humeur du lecteur. Peut-être que j'aurais aimé un traitement un peu plus approfondi des thèmes - graves - abordés, mais je ne manquerai pas de trouver d'autres théories alarmistes dans d'autres bouquins. Pour l'heure, je suis heureuse d'avoir profité de celui-ci.
Babalou
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le 10 oct. 2014

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Babalou

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