Les lecteurs sérieux de Balzac, ceux à qui l’expression Furne corrigé évoque quelque chose, auront fini par noter que l’histoire de la publication des textes de la Comédie humaine est un vrai foutoir. Entre les passages d’une section à l’autre, les changements de titre, les fusions, les scissions et les textes étoffés d’une édition sur l’autre, impossible de s’y retrouver sans notes.
Et quiconque lit Balzac sans l’étudier pourrait n’en avoir cure, si tout cela ne débouchait sur des textes comme Autre Étude de femme. C’est un récit qui en compte (à peu près) six : le premier amour de Henri de Marsay, « La femme comme il faut » par Blondet, un éloge de Napoléon par Canalis, « La Maîtresse de notre colonel » par le général Montriveau, la mort de la duchesse et « La Grande Bretèche ».
Parfois publiés à part avant Autre Étude de femme, ils sont ici cousus, pour les besoins de la cause, grâce au procédé des récits de table – celui-là que Maupassant, par exemple, emploiera dans les Contes de la bécasse. Et le moins qu’on puisse dire est que les coutures ne sont ni dissimulées, ni solides ; ainsi Bianchon, censé être le narrateur général, est-il ailleurs évoqué à la troisième personne par un narrateur omniscient ; ainsi la duchesse donnée comme vivante à l’époque du récit-cadre meurt-elle dans un des récits enchâssés.
Dommage, car le caractère bordélique – un critique universitaire me souffle à l’oreille le mot déconstruit – du texte en tant que tel n’est pas ce qui me gêne. Ces récits de souper passent en revue une galerie de personnages, et il est rare qu’un personnage balzacien soit littérairement raté.
Et comme souvent, il faut se rappeler l’identité de celui qui raconte pour que son récit y gagne en richesse – sachant qu’il y a toujours Balzac à l’arrière-plan, notamment dans les considérations politiques ou la psychologie péremptoire : « Supprimez la vengeance, la trahison n’est plus rien en amour » (p. 683), le mot est de Marsay, il pourrait être de Balzac. J’aime bien une image comme « nous marchâmes ensemble, comme des oies conduites en troupe par le despotisme aveugle d’un enfant » (p. 708), alors que c’est un militaire qui parle.


En fait, il faut reconnaître que tous ces morceaux sont d’un intérêt variable – toujours pas compris l’intérêt de l’éloge de Napoléon : faire des lignes ? On me dira que Balzac n’a jamais rechigné à vendre des livres. C’est vrai. Mais à l’échelle de la Comédie humaine, que changeaient dix ou vingt pages de plus ? (Il y a plus de remplissage dans ses articles ou dans ses textes publiés à part, avant l’édition Furne.)
Peut-être faut-il, pour mieux goûter ce remplissage, imaginer le plaisir pris par l’auteur à écrire une ligne comme « – Ah ! quel blézir te tichérer en fus égoudant, dit le baron de Nucingen » (p. 701). Elle ne sert à rien d’autre qu’à camper le portrait d’un auditeur. J’y vois quelque chose d’enfantin qui convient assez bien à Balzac. Et pour peu que le lecteur soit lui-même en train de digérer…
Un récit semble cependant sortir du lot : la Grande Bretèche, que l’auteur a pris soin de placer à la fin pour amener l’excipit général. Bianchon y raconte une petite histoire noire d’une dizaine de pages, qui me paraît se rattacher à la nouvelle exemplaire telle qu’elle se pratiquait aux XVIIe et XVIIIe siècles plutôt qu’au roman gothique, malgré ce qu’en dit Bianchon lui-même, qui fait volontiers dans la mise en abyme : « vous vous seriez cru transporté dans une véritable scène de roman. » (p. 716) « Je m’enfonçai dans un roman à la Radcliffe, bâti sur les données juridiques de monsieur Regnault » (p. 718).
Par contre, je n’ai toujours pas compris le titre : Autre Étude de femme.

Alcofribas
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le 17 juil. 2020

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