B-17 G
7.9
B-17 G

livre de Pierre Bergounioux (2006)

Le point de départ de B17-G, c’est l’image de la destruction d’un bombardier états-unien de la Deuxième Guerre mondiale, vue à quelques années d’intervalle par le narrateur – mais s’agissant à peine d’un récit, faut-il parler de narrateur ? Puis s’opère un glissement implicite, de l’image à l’instant. Enfin un autre glissement, subreptice aussi, de l’instant aux mots qui l’évoquent : de toute évidence, B17-G propose une réflexion sur le pouvoir de la littérature, « l’ombre du récit qui hante toute action, celle des mots qui la prolongent et l’entérinent dans l’ordre de la narration » (p. 74 de la réédition « Argol poche »). Tous ces glissements se répètent à l’envi ; ainsi (p. 56-57), « Tous les hommes devraient enfiler un jour une combinaison fourrée et faire un stage de dix minutes à vingt-quatre mille pieds. C’est d’un œil différent qu’ils verraient la terre, l’agitation microscopique dont elle et le théâtre. De leur séjour en altitude, ils rapporteraient le léger décalage, la réticence à quoi se ramène, pour l’essentiel, la sagesse. Cette pensée distrait le mitrailleur de la souffrance que le froid lui inflige, s’installe dans sa tête grondante. »
Je ne pense pas que l’avion qui donne son titre à l’ouvrage puisse être envisagé comme un symbole ou l’élément d’une métaphore. Plutôt comme un prétexte. L’occasion, par exemple, de parler d’héroïsme, et d’écrivains que l’héroïsme a formés – de belles lignes justes sur Hemingway ou Saint-Exupéry. Si bien que cette histoire d’avion a tendance à se mordre la queue, perdant en ampleur ce qu’il gagne en ambition. Mais d’une manière générale, l’œuvre de Pierre Bergounioux – à l’instar de celle de Pierre Michon, auteur d’une intéressante postface sobrement et judicieusement intitulée « Smith » – semble suffisamment riche pour pouvoir dans quelques années être étudiée comme celle d’un classique, si l’on étudie encore la littérature dans quelques années.
À ce titre, B17-G se prête à la nuance – et à une critique qui dépasse le cadre de ces quelques lignes. Par exemple je ne partage pas le fatalisme un peu esthétisant d’un passage tel que « l’expression, dans ses rapports avec l’expérience, n’est pas libre, pas plus que nous ne le sommes de choisir ce qui nous arrive, ni, dans la majorité des cas, de l’infléchir, de s’en tirer » (p. 50). Je ne nie pas que la démonstration qu’en constitue B17-G soit bien menée et pleine de conséquences.

Alcofribas
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le 24 mai 2017

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