Berlin
8.2
Berlin

livre de Jean Lopez ()

Le rouleau compresseur russe

Dans son dernier livre portant sur la guerre à l'est publié aux éditions Economica, Jean Lopez reprend là où l'on avait laissé l'Armée Rouge à l'automne 1944, aux portes de Varsovie. Son ambition est donc bien plus grande que de livrer un nouveau récit de la seule bataille de Berlin. Il s'agit de son livre le plus volumineux (672 pages, quand les quatre autres en comptaient moins de 500), où il entend dépasser les seuls combats de janvier-mai 1945.


En effet, ce qui est peut-être le plus intéressant dans cet ouvrage, c'est sa réhabilitation de l'art opératif soviétique. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais c'est bien des généraux soviétiques qui vont révolutionner la pensée militaire dans les années 1920. Tout cela fut mis au placard à cause des Grandes Purges staliniennes et du début de la guerre contre l'Allemagne. Mais l'Armée Rouge va apprendre de ses défaites, et d'élève elle va passer au statut de maître.


La Blitzkrieg, terme toujours attribué à la tactique militaire allemande, va finalement connaître son aboutissement avec l'offensive Vistule-Oder, qui voit des armées blindées parcourir 550 à 600 km en 17 jours. Pourtant, tout cela disparaîtra des récits officiels. La cause ? La guerre froide.
En effet, les mémorialistes de la Wehrmacht, qui ont passé tout le conflit à sous-estimer systématiquement l'Armée Rouge, vont attribuer la défaite de l'Allemagne à la seule supériorité numérique ennemie et aux erreurs d'Hitler, tout en estimant que la tactique allemande a été supérieure jusqu'au bout. Leurs écrits vont faire foi à l'ouest.


C'est cette vision fausse qui va s'imposer et être à l'origine de la pensée militaire américaine jusque dans les années 1970. Après le désastre de la guerre du Viêtnam, plusieurs militaires, chercheurs et historiens vont s'intéresser à l'art opératif soviétique, et ils vont tellement être conquis que cette pensée sera à la base du manuel d'opérations de l'US Army dans l'Amérique de Reagan.


Le livre de Jean Lopez se présente en trois parties. Dans un premier temps, il dresse un état des lieux de la situation. Il montre que l'Armée Rouge est à son sommet alors que la Ostheer, même si elle fait encore bonne figure, n'a jamais été aussi faible numériquement et a perdu l'essentiel de ses unités expérimentées.


La deuxième partie du livre est consacrée à l'offensive Vistule-Oder (du 12 janvier au 2 février 1945), qui balaie tout sur son passage. Les Soviétiques sont ainsi à 80 km de Berlin début février. Dès lors, pourquoi ne pas prendre la capitale dans la foulée ? L'auteur montre que cela ne s'est pas fait pour de multiples raisons.


D'abord, les armées qui ont beaucoup avancé sont affaiblies, il faut rétablir la logistique, le ravitaillement. La défense allemande se fait plus dure, et il y a même des attaques (opération Sonnenwende) : les flancs sont exposés, et la STAVKA préfère la prudence, elle a appris que trop de précipitation mène souvent au désastre. En outre, si l'Armée Rouge a avancé au centre (en Pologne), elle doit encore conquérir le nord (Prusse, Poméranie) et le sud (Silésie). Pour Staline, cela a l'avantage de servir ses desseins d'après-guerre, et il est beaucoup plus près de Berlin que les Alliés, qui piétinent devant le Rhin.


Tout s'inverse à partir de mars, et c'est comme ça que nous arrivons à la dernière partie du livre, consacrée à la bataille sur l'Oder, puis à la prise de Berlin. En effet, à l'ouest, l'armée allemande s'effondre et les Alliés progressent vite. Paranoïaque, Staline craint qu'ils n'avancent jusqu'à Berlin, même s'il s'est déjà entendu sur les zones d'occupations d'après-guerre avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Il va donc pousser à l'offensive en exacerbant les rivalités entre ses deux plus grands généraux, Joukov et Koniev... c'est à celui qui prendra Berlin le premier !


L'Oder, qui forme aujourd'hui la frontière entre l'Allemagne et la Pologne, constitue un obstacle de taille et, pour une fois, les Allemands ont mis les moyens de le défendre. La bataille est difficile pour les Soviétiques, mais ils parviennent à percer et dès lors, la dernière chance d'arrêter l'Armée Rouge s'est envolée.


Richement documenté, très bien illustré, brisant un certain nombre d'idées reçues, cet ouvrage est, comme les précédents, non seulement passionnant, mais aussi nécessaire. J'aurais quand même quelques reproches à lui adresser. Je trouve dommage qu'au prétexte que la bataille de Berlin ait été souvent vue du côté allemand, Jean Lopez ne s'intéresse qu'au point de vue soviétique. En outre, je suis tout à fait d'accord sur le fait que l'art opératif soviétique était supérieur à la tactique allemande, mais l'admiration de l'auteur le pousse à minimiser le fait que la supériorité numérique soviétique à un peu près tous les niveaux a aussi beaucoup joué dans la victoire finale.

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le 8 nov. 2020

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