Une nouvelle fois, Dortmunder se retrouve en fâcheuse posture. Il passait sur un toit, pour cambrioler un entrepôt bourré de caviar pour son commanditaire, un certain Chepkoff dont le credo pour toute négociation est « Seul l’argent parle » ! Suite à un léger impondérable, Dortmunder se retrouve suspendu à un élément de charpente… celle d’un couvent. Sauvé par les bonnes sœurs (ayant fait vœu de silence), Dortmunder se voit proposer un marché. Eh oui, les bonnes sœurs ne se contentent pas de prier pour que Dieu accorde une longue vie au pape, elles profitent également des circonstances pour forcer la main à celui qui leur tombe du ciel. Le comble c’est que si, grâce à elles, Dortmunder échappe à la police sans avoir signé le moindre engagement, c’est May sa compagne qui l’incite expressément à tenir son engagement.

L’engagement pris par Dortmunder est de retrouver Sœur Marie de la Grâce qui a été retirée du couvent par son père. Un fait d’autorité abusive que les sœurs regrettent amèrement. En effet, Frank Ritter a considéré que sa fille Elaine (23 ans, aussi têtue que son père) a pris le voile comme on tombe dans une secte. Alors, il l’a enfermée au sommet d’une tour (comme une princesse) ! Pas n’importe quelle tour, celle de Margrave, sa société (accessoirement, il est également propriétaire de plusieurs pays). Et pour ramener sa fille à la raison, il a engagé Hendrickson, un déconditionneur (du catholicisme en l’occurrence). Frank Ritter a toujours considéré que la puissance que lui confère son immense fortune lui permet quoi qu’il arrive, d’obtenir tout ce qu’il veut pour peu qu’il y mette les moyens.

Dortmunder c’est le genre père tranquille, buveur de bière avec ses potes cambrioleurs comme lui. Son métier de cambrioleur, il l’exerce de manière rationnelle. C’est le roi de l’organisation et de la planification. D’après ses plans, tout ce qu’il entreprend devrait aller comme sur des roulettes. Malheureusement, les spécialistes dont il s’entoure n’ont pas inventé l’eau chaude. Et puis surtout, les circonstances s’en mêlent régulièrement pour placer le grain de sable qui vient gripper une mécanique bien huilée. Mais Dortmunder ne perd jamais ses moyens et il réussit toujours à improviser, même s’il reste constamment sur le fil. Il a également le chic pour imaginer les répliques les plus improbables quand il est acculé. Ici, il imagine un casse dans l’immeuble du père, dans le seul but de pénétrer dans l’immeuble et récupérer la fille. Eh oui, c’est la solution pour convaincre ses acolytes de marcher avec lui dans cette histoire.

Westlake ne se contente pas d’être drôle et de concocter un thriller à sa manière (inimitable). En fin observateur du monde il prophétise « Toute association qui survit n’est qu’une forme courtoise d’absorption, c’est pourquoi nous avons maintenant la compagnie multinationale et c’est là que réside aujourd’hui le pouvoir. Certainement pas aux Nations Unies ni dans les gouvernements nationaux. »

En 51 chapitres et environ 350 pages, Westalke construit une intrigue très personnelle. Histoire d’un enlèvement associé à un casse fabuleux, le tout donnant lieu à d’innombrables situations cocasses. Idem pour certaines répliques ou réflexions. Car chaque personnage se fait remarquer par son comportement et son caractère. Entre les truands hyper-spécialisés mais totalement ignorants en dehors de leur domaine et les têtes de mules sûres de leur bon droit que sont (entre autres) Frank Ritter et sa fille Elaine (Sœur Marie de la Grâce), ainsi que des péripéties tellement incongrues qu’on s’esclaffe une fois par chapitre en moyenne, il y a de quoi passer un très bon moment. Ma surprise, puisque je reprenais du Dortmunder, fut de constater que Westalke a toujours un incroyable bonheur d’écrire qui se transmet au lecteur, mais dans une forme qui n’est pas figée. Je croyais Dortmunder voué à d’éternels échecs et à d’incroyables tâches de Sysiphe, lui conférant un caractère d’éternel optimiste presque naïf. Ici, il improvise parfois, mais son travail avance constamment et ce n’est pas plus mal.

L’édition de poche Rivages/Noir évoque (début du chapitre 26) la catastrophe de la centrale nucléaire de Three Miles Island (survenue en mars 1979), alors que le roman date de 1968. Explication : la présente traduction est une version remaniée par l’auteur, avec une nouvelle traduction.

Un thriller amusant (genre suffisamment rare pour que sa réussite soit signalée), grâce à sa galerie de personnages, ses incroyables péripéties et son ton gentiment ironique vis-à-vis de nombreux travers humains. A consommer sans modération !
Electron
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le 21 août 2013

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