Ambiance baroque pour cette fresque familiale particulièrement dense.
Cent ans de solitude déroule la lente décadence du village de Macondo, et dans le même temps, celle des générations de la famille de ses fondateurs et de leurs destins respectifs.


Intrigue fantastique avec un manuscrit à déchiffrer, des prophéties et des malédictions, des lévitations et des fantômes, la crainte de naissances d’enfants à queue de cochon, et allusion aux personnages bibliques...et pour finir un prophète écrivain qui nous contera toutes les péripéties et prédira le destin funeste de cette grande famille, au fur et à mesure du déchiffrage de son manuscrit par ceux qui s’y essaient, avec plus ou moins de succès.


Gabriel Garcia Marquez en profite même pour se parodier par le biais de Melquiadès, couchant l’histoire à venir sur de mystérieux manuscrits, nous baladant entre le présent et le passé, pour connaître le fin mot de l’histoire, et un final qui boucle la boucle. L’écrivain fictif distille son suspense entre mythe et réalité, ponctuant des faits historiques réels par des événements surnaturels, jouant de son ambiance magique et pourtant si naturelle...


Le roman commence avec la fondation de Macondo aux temps anciens :
«Le monde était si récent que la plupart des objets n'avaient pas de nom et pour les désigner il fallait les montrer du doigt.»...
Le village s’ouvrira pourtant et par la force des choses, à la modernité et à l’expansion, finira par devenir un centre d’activités de la région, aura un laboratoire d’alchimie et de l’or à venir, vivra la révolution industrielle, la conquête et la fuite sans oublier des amours contrariées, accueillera une bananeraie, aidé par une bande de gitans apportant la connaissance mais aussi le trouble.


La modernité serait peut-être la cause de tous leurs maux. Métaphore de ce qu’ont subit les colombiens et par extension les pays d’Amérique du Sud, souvent sous le joug de puissances étrangères. Ils subiront la corruption, l’oppression, la dictature et la guerre civile où l'un des fils devenu colonel partira sur le champ de bataille pour un clin d'œil au grand-père de l'écrivain (vétéran de la guerre des 1000 jours (1899-1902), et lutteront constamment contre l’adversité.
Il y vivront l’insomnie, y perdront la mémoire, la retrouveront grâce à Melquiadès et l'inviteront à rester avec eux. On peut déceler aussi cette notion de perte du savoir des anciens, de l’abandon de la nature, dont parle notamment Luis Sepúlveda dans «Le vieux qui lisait des romans d’amour».
On y verra l’aspect politique en filigrane même si l’ouvrage est considéré comme le point de départ du «réalisme magique» propre à l’auteur. L’histoire s'étend de 1850 à 1950 sous les cieux ensoleillés des caraïbes, où Macondo fut créer par José Arcadio Buendia lorsqu’il se perdit «en route», cherchant la mer, fuyant le fantôme de son ennemi, emmenant avec lui sa femme et cousine, Ursula Iguarán, et toute sa troupe... Viendront ensuite les multiples descendances.


Le style de Marquez est fluide et imagé, longs paragraphes parfois, multiples personnages et noms familiaux qui se répètent au fil des générations pour nous perdre mais pour signifier cet éternel recommencement, sans oublier les descriptions métaphoriques bien senties.
Toute son écriture prend sa puissance dans son sens du détail, de l’image, des sons et des couleurs qui rendent le fantastique concret. Ces moments de poésie et ce sens de la fable, rendent l’écriture particulière, où chaque chose insignifiante prend des proportions fabuleuses.


Ce sont ces destinées individuelles qui finiront par se croiser et se rejoindre dans la résolution finale. A la fois partie prenante, multipliant les mêmes erreurs et tributaires de toutes les situations qui vont découler de leurs choix. Chaque personnage accompagne la naissance, la construction et l’évolution du village Macondo, au fil des années et des générations, de la perte de l’innocence jusqu’à la dévastation et la mort.


Le village fictif de Macondo, est un hommage au village natal de l’écrivain, Aracataca, où on y perçoit la désolation et la misère, que nombre d’écrivains sud-américains savent si bien retranscrire.
Les malheurs qui s’abattent sur la famille Buendia, malgré les efforts pour s’en défaire, appuient cette notion de destin imparable et leur profonde solitude à l’instar de ce petit village isolé.


Et pourtant tout l’ensemble est un grand délire de passions, d’acharnement et de trouvailles...


Elevé par une grand-mère lui contant des histoires de fantômes et autres sujets extraordinaires-, Gabriel Garcia Marquez est déjà baigné dans un monde où le réel le dispute au surnaturel, comme une évidence. Il est un incontournable de cette littérature qui permet de découvrir et de comprendre un peu mieux l’Amérique latine, ces exilés en souffrance, ces hommes et ces femmes souvent brossés avec bienveillance, vivant des situations décalées, parfois sordides, mais souvent jubilatoires, car l’écrivain n’en oublie ni l’humour, ni l’ironie.


Cent ans de solitude lui offrira la reconnaissance mondiale, et le Prix Nobel de littérature 1982. Il dira de cet ouvrage que c’est une jolie farce à destination de ses proches et ne comprendra pas le succès, s’interrogeant sur notre capacité intellectuelle à bien repérer un chef d’œuvre de la littérature !
Il laisse derrière lui nombre de romans et nouvelles.


Gabriel Garcia Marquez dira :
«La violence est le sujet de tous mes livres. La violence en Amérique latine a toujours existé ; elle vient d'Espagne ; elle est la grande accoucheuse de notre histoire


Puisant dans ses racines, et fort de son expérience enfantine, il y gagne son style pour nous conter sa véritable histoire.


Son premier ouvrage Des feuilles dans la bourrasque a été écrit à 19 ans et révélait le style à venir. Trois personnages, trois unités de temps pour le choix d’un colonel à faire enterrer dignement un homme pourtant abject et détesté, pointant la complexité du colonel dans ses choix politiques et humains.


L’amour au temps du choléra qui même si il reste une fiction prend pour inspiration, à la fois la relation mouvementée de ses parents, et la véritable histoire d’amour de deux octogénaires qui mariés respectivement, se côtoyaient en cachette, avant d’être assassinés par leur batelier…révélant dramatiquement, leur histoire au monde.


Quelques autres :
L’automne du patriarche met en avant les dictatures et ses ravages sous un aspect burlesque dénonçant le pouvoir absolu et la main mise des grandes puissances sur la Colombie mais encore une fois par extension à tous ces pays d’Amérique latine, l’auteur prenant un échantillon varié de dictateurs...


La mala hora en profite pour parler de corruption et de manipulation pour un petit village sujet à des rumeurs, donnant excuse à une répression calculée.


Et L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique traite plus particulièrement de la domination, celle parentale et sociétale sur l’être humain, ou de l’homme sur la femme, montrant encore une fois la complexité de caractères et la loi de la survie.


Ou encore la notion de mort dans le recueil de nouvelles Des yeux de chien bleu. Reprenant des personnages-narrateurs ou témoins, agissant à proximité de cadavres («Les funérailles de la grande mémé» en est un bel exemple), même si ici, ce sont leurs propres morts dont il s’agit.
Par extension, l’errance, l’inconscience, le détachement et la difficulté de communication. Entre rêve et réalité, toutes ces nouvelles se teintent de pessimisme joyeux, nous rappelant à la conscience que l’on pourrait avoir de notre mort, L’excellence du choix des mots, le soupçon d’humour noir, pointent ainsi toute la dérision de nos vies.


Le journalisme :


Journal d’un enlèvement retraçe des interviews que Gabriel Garcia Marquez a lui même menés auprès de témoins, lors du kidnapping de journalistes par le cartel de Medellin entre 1990 et 1991.


Récit d’un naufragé nous conte le fait divers de 1955, où huit marins colombiens ont été laissés pour morts, tombés à la mer suite à la surcharge de leur navire, jusqu’à la découverte d’un rescapé.


La puissance de ces récits laisse de côté ses grandes envolées poétiques mais son écriture nous transporte toujours et nous rappelle à son expérience du journalisme. Le style d’écriture reste puissant et le temps qui s’étire confère aux ouvrages une force narrative d’une grande sobriété.


Le journalisme romancé :


Chronique d’une mort annoncée, suit le parcours d’un jeune homme (innocent ?) réellement assassiné en 1951 pour une sombre histoire de mari floué... L’auteur-journaliste, fera ses recoupements et se posera également comme témoin passé du drame où l’honneur se le dispute à la fatalité et aux convenances. Pour l’anecdote sa mère lui demanda d’attendre que tous les témoins du drame soient décédés avant de publier le livre. Ce qu’il fit.


En résumé, lire un certain nombre de ses ouvrages permet de mieux cerner toute l'étendue et la richesse de l’écrivain.

limma
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le 12 août 2017

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