“Que le lecteur ordinaire aille se faire voir”

Quel est le lien entre le Général De Gaulle et la plus grande revue littéraire des années 20 ? "Colombey est une fête" retrace la création de la revue "transition" par un couple d’écrivains et de traducteurs passionnés au sein d’une demeure historique, théâtre de la réconciliation franco-allemande.

. Eugène Jolas débarque à Paris au printemps 1924, après avoir vécu 10 ans aux États-Unis. Né d’une mère allemande et d’un père français, il fait son éducation littéraire entre New York et Paris. De retour en France pendant les années folles, il devient rédacteur en chef du Chicago Tribune et contribue à la création du groupe de l’Arc, un groupe littéraire qui dénonce le philistinisme ambiant. Durant ses années parisiennes, il croise Scott Fitzgerald et sa femme Zelda au bar du coin, rencontre souvent Ernest Hemingway au jardin du Luxembourg, et retrouve Hans Arp dans les cafés du Boulevard de la Rive gauche ou de la Gare de l’Est. C’est aussi à Paris qu’Eugène tombe amoureux de Maria McDonald, une jeune Américaine passionnée par la musique. Ensemble, ils fondent la revue littéraire internationaliste la plus en vogue des années 20 : transition, avec un t minuscule.

. En 1927, le couple fuit l’effervescence parisienne et s’installe à La Boisserie, un ancien pavillon de chasse construit au 19ème siècle dans le petit village de Colombey-les-Deux-Églises en Haute-Marne. Un lieu chargé d’histoire qui a abrité les troupes américaines de 1917 à 1918, avant de devenir le berceau du modernisme littéraire sous l’égide des Jolas. La demeure est cédée à la famille De Gaulle en 1934, puis confisquée par le régime de Vichy en tant que domicile du premier résistant de France. En 1969, De Gaulle s’y retire définitivement avec son épouse, et il y meurt en 1970.

. Aurélie Chenot raconte comment La Boisserie a attiré une myriade d’écrivains et d’artistes d’un nouveau genre entre 1927 et 1929. Eugène et Maria fondent transition avec l’écrivain et journaliste Eliott Paul, pour rendre compte des principaux mouvements intellectuels Européens au monde anglophone, tout en présentant le travail d’écrivains anglophones en Europe.

. “Que le lecteur ordinaire aille se faire voir”’, publie transition en 1929. Le ton est donné. Les Jolas veulent une revue moderne qui repousse les limites du langage, et révèle les 3 grands mouvements avant-gardistes du XXème siècle : le dadaïsme, l’expressionnisme et le surréalisme. De Gertrude Stein à Samuel Beckett, en passant par André Gide ou encore Marcel Duchamp et Kafka, transition symbolise l’âge d’or du logos, pendant une époque riche et propice aux expérimentations dans le domaine du langage.

. Un roman passionnant et très réussi, inspiré du mythique Paris est une fête d’Ernest Hemingway. On y découvre l’influence d’Eugène et Maria Jolas sur le modernisme littéraire. Proches de James Joyce, l’auteur d’Ulysse, ils vont d’ailleurs contribuer à la publication de Finnegans Wake.

“À l’instar de Nietzsche qui voulait faire danser la grammaire, Joyce fait danser les mots. Quand le sens est sommeil, les mots vont dormir. Quand le sens est danse, les mots dansent. La langue est ivre. Les mots eux-mêmes titubent, effervescents”.

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