Conan
7.7
Conan

livre de Robert E. Howard (1967)

Le monde de l’Héroïc Fantasy se divise en deux catégories.

Il y a les auteurs qui s'acharnent à construire un univers, à bâtir tout un monde vaste et profond, élaborant sa géographie et sa culture, sa mythologie et ses légendes, créant ses peuples et leurs langages, leurs mythes et leur Histoire, décrivant avec minutie chaque caractéristique de ces immenses contrées millénaires.
Et il y a les auteurs qui forgent une personne, un être mythique, un nom légendaire, un Héros. Des auteurs qui taillent leurs fables rocailleuses dans un monde évasif sobrement géographié, laissant un voile de vagues brumes sur ces terres inconnues, projetant le lecteur au travers des yeux de ce personnage unique qui ne connais ces lointains pays qu'en partie, les parcourant à grandes foulées haletant d'un souffle rauque, fuyant la pétrification routinière avec des yeux enflammés, avides de méfiantes découvertes.

Howard est de ceux là. C'est même le plus illustre d'entre eux. Howard a créé Conan, le cimmérien.

Conan le Barbare est l'image du guerrier solitaire, vagabond miteux et héros magnifique. L'homme est forgé dans les vestiges titanesques d'un passé de tortures et de douleurs. Les muscles noueux, le visage sombre et buriné, les yeux bleus pétillants et vifs trahissant sa ruse, les mains calleuses, taillées comme des battoirs annonçant sa brutalité.

Le cimmérien ouvre la porte d'une taverne, et la simple découpe de sa silhouette bosselée sur la clarté lunaire souffle les paroles d'une bourrasque de plomb et amène un silence soudain, pesant de son poids d'inquiétude et d'étrange fascination sur cet être de Légende. On entend le bruit sourd de ses pas sur le plancher moisi, et les quelques badauds curieux et soiffards fidèles ne brisent cette muette atmosphère que dans des murmures anxieux. "Mon dieu, mais c'est...", "On dit qu'il a autrefois terrassé...", "... à mains nues, seul contre des dizaines." "Jusqu'en Stygie on le craint..." ...Le barbare s'avance le visage placide et les yeux à demi fermés, passe commande dans un chuintement et entame son dîner paisiblement. Alors l'ambiance retrouve son plein.
Si d'aventure quelqu'un vient vers le colosse pour le défier ou le détrousser, alors il n'aura surement pas même le temps de s'apercevoir que l'ours est aussi vif qu'un serpent, sa tête roulant déjà sur le sol. Mais si un autre, moins téméraire, s'avançait pour discuter, il risquerait tout au plus de partager un verre avec un barbare. Un barbare qui n'est pas adepte de violences gratuites, suivant un code d'honneur personnel et légitime, façonné par son histoire et par son expérience du monde. Un monde qui l'attire autant qu'il le terrifie.
Ce quidam de passage qui entamerait sa conversation avec Conan, découvrirait alors sous cette énorme carapace bestiale, un être rusé comme un renard, dont la curiosité et l'envie de connaissances n'ont d'égales que l'agilité et la force animale qui suinte de ses membres et jaillit de ses pattes, aussi fortes que pleines d'une fulgurante dextérité. Le voisin de table d'un soir échangerait avec un être de contrastes, versé dans les lettres et les cultures, connaissant parfaitement une demie douzaine de langues et n'étant pas étranger aux bases de l'autre moitié de cette douzaine, intéressé par la politique ou du moins en saisissant parfaitement les mécanismes essentiels. Il verrait surement avec étonnement que Conan ne rechigne jamais vraiment à une discussion théologique si les conditions sont favorables et se laisse bien souvent aller à quelques tergiversions métaphysiques avant de réaxer le débat dans un rire éclatant et jovial rappelant que ce mystique qui génère autant d'intérêt que de peurs a son temps, mais que le moment présent se doit d'être justement savouré. Heureux de cet entrain plaisant, le compagnon de table du barbare ne verrait pas une seconde que le guerrier voile de cette manière la terreur que ce brouillard ésotérique laisse constamment dans les tréfonds assombris de son âme aussi figée que torturée.
Il rit et parle d'un ton convaincu de la rapidité de sa lame et de la puissance de l'acier, sifflant dans une symphonie guerrière et macabre; mais reste la montagne qui cache un instinct craintif et méfiant, sa plus grande arme, allié d'un coeur de glace qui parfois, en de rares moment d'une solitude profonde, saigne doucement.



Une légende à la résonance sanglante dans un monde de cités grouillantes lumineuses aux tours étincelantes et aux échoppes accueillantes. Un monde de ténèbres ambiantes, ou quelque ignoble sorcellerie ou terrible diablerie rôde toujours dans les coins obscures et humides, guettant sa proie avec des yeux viciés.
Le cimmérien gravit les courts récits de Howard avec l'agilité d'une panthère et la puissance d'un grizzly, n'obéissant qu'à lui même et ne comptant souvent que sur lui même.

N'attendez pas que Conan vienne toctoquer à la petite porte ronde de l'herbeuse maison-talus d'un nabot aux pieds velus pour monter une compagnie de valeureux guerriers en partance pour quelque quête ou mission salvatrice. Non. Conan est un solitaire vaguement fidèle à son clan Barbare et à son Dieu ironique. Il donne et prend en échange, en douceur ou de force, acquière, empoigne ou arrache, car s'il ne pense que très peu de manière manichéenne, suivant son propre jugement, il faut bien avouer que l'altruisme n'est pas non plus son fort, n'agissant que rarement gratuitement, tant dans ses services que dans ses sentences. Il est voleur, pillard et pirate autant que héros, chef et mythe adulé. Un homme juste à l'âme éteinte d'un fauve balafré.
Et s'il est prompt à se plonger dans les cultures et les croyances et à échanger avec les sages, il n'accorde une foi réelle qu'en ce que son poing peu écraser et ce que sa lame peut trancher, profitant de ce dont la vie, dans l'instant, lui fait don, des plaisirs de la chair à ceux des richesses, il n'est jamais tant exalté par les objets que par les épreuves qui mènent à ces objets.

Avec Conan, Howard avait créé la Dark Fantasy, sculptée dans un style direct, brutal et violent, un univers très différent des fanfreluches contemplatives (et captivantes) dessinées par le gars qui aimait bien parler de bagues et de collines. Un univers bestial, crasseux et orgiaque basé sur une éternelle et cruelle loi de la jungle où la survie de chacun dépend de sa capacité à prendre de sa main ce qui lui est dû. Un univers amèrement douceâtre de plaisirs charnels et d'horreurs suintantes, où chaque consolation apporte son lot de tourments.
zombiraptor
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le 23 févr. 2013

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zombiraptor

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