Cette rentrée d'hiver 2024 semble marquée par la question passionnante des rapports entre littérature et politique. Que La Fabrique participe à ce débat n'est ni étonnant, ni vain ; leur catalogue de critique littéraire est toujours intéressant. Le titre peut étonner, au premier abord : pourquoi diable ces écrivain·es de gauche, publié·es dans une maison de gauche (ou d’extrême-gauche, puisque toute gauche est extrême depuis quelques années, bref), iraient contre une littérature politique ?

Contrairement aux autres livres de cette rentrée, dont on parlera plus tard, celui-ci prend la voie littéraire. Les différentes contributions empruntent à des genres littéraires bien identifiés, et mon manque de culture se fait cruellement ressentir ; je dois admettre ne pas avoir tout compris, comme le chapitre final de Volodine (« Un conte moral : Bubor Schnuff »). La contribution de Tanguy Viel est la plus limpide (« Voltaire ou sainte Thérèse ? »), il revient sur l’opposition entre politique (réel) et littérature (art, fiction) depuis la Révolution résumée dans son titre : il faudrait choisir son camp entre une littérature en prise avec le réel (Voltaire), et une littérature mystique et purement contemplative (sainte Thérèse). Pierre Alféri, dans « À nos Grandes-Têtes-Molles », s’amuse à un genre de pamphlet anonymisé, où je crois reconnaître Finkielkraut, BHL et Camille Laurens. Louisa Yousfi reprend les vers d’Homère dans son « Chant pour des armes splendides » où l’on peut lire en Achille la figure du barbare, contre Troie, l’Empire. Là aussi, je manque de billes pour saisir complètement cette réécriture de L’Illiade.

Le chapitre inaugural de Nathalie Quintane est, avec celui de Viel, le plus intéressant, car il pose les termes du débat. Concrètement, où est la politique dans la littérature ? Dans le fond, quand on « traite » de politique ? Ou dans la forme, dans l’usage du langage ? Personne ne tranche vraiment ce débat théorique. Il me semble que ces écrivain·es proposent de résoudre le dilemme en tranchant le nœud gordien, en proposant une troisième voie : faire de la littérature une politique, autrement dit faire politiquement de la littérature. Quoi que ça veuille dire.

la littérature est une expérience / l’expérience d’un possible / pas un savoir / pas un discours explicatif / faire politiquement de la littérature / pas de la littérature politique (Leslie Kaplan, « Donnez-moi un mot, juste un mot », p. 108)

Pour le sociologue, tout ça est très obscur. Rien ne change depuis Bourdieu. Et en même temps, peut-être que la solution est là, comme l’écrit Nathalie Quintane avec humour : la littérature s’est trop scolarisée. La pensée est scolaire, scientifique. Et vouloir analyser la littérature serait ne rien y comprendre. Mouais. Du point de vue sociologique, tout ça ressemble furieusement à une réaction du pôle légitime du champ ; à de l’illusio, quoi… Reste que cet ouvrage remet la question à l'agenda, et apporte un peu d'eau au moulin de la critique politique de la littérature, ou de la critique littéraire de la politique. On prend.

Question : est-ce que vous vous rendez compte des efforts collectivement faits par la corporation depuis deux générations pour rendre la littérature simple, lisible, claire comme de l’eau de roche, transparente comme une source traversée de soleil jusqu’au fond ? De droite comme de gauche, nous nous y sommes tous mis. J’ai moi-même apporté d’entrée mon écot en publiant des phrases comme « La peau de la tomate maintient la tomate dans sa peau ». (Nathalie Quintane, « Beaucoup d’intentions, assez peu de crimes », p. 28)
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le 4 févr. 2024

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Antoine Grivel

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