Le darwinisme ? Ne me dites pas que vous y croyez !

Une fracture épistémologique peut en cacher une autre. Ainsi, lorsqu’il est question de la théorie de l’évolution de Darwin, il est commun de diviser l’humanité entre ceux qui en admettent la validité, estimant qu’elle constitue l’explication la plus cohérente des origines et de la complexité du vivant, et puis ceux qui n’y croient pas , intégristes de tout poil, créationnistes Jeune Terre ou autres adeptes de l’Intelligent Design, considérés par les premiers avec commisération, crainte ou encore agacement. Ne pas y croire : on mesure immédiatement l’incongruité de cette expression et à quel point elle témoigne d’un regard biaisé sur la démarche scientifique, ressentie à tort comme devant faire l’objet d’un acte de foi. Mais à y regarder de plus près, il existe une autre attitude tout aussi irrationnelle, qui certes passe plus inaperçue que la première, bien qu’elle soit partagée par un nombre de personnes sans doute bien plus important : celle qui consiste à mythifier le discours scientifique, à le ramener à une belle histoire, à le confiner à un récit des origines pas forcément éloigné des mythologies présentes dans l’imaginaire collectif. Si bien que, face au camp des incroyants, se dresse celui de ceux qui y croient. Comment expliquer ce dérapage ? Il est vrai que, sous couvert de les rendre plus accessibles, les scientifiques eux-mêmes ont parfois recours à des explications caricaturales proches des récits mythiques lorsqu’ils présentent leurs théories. Et puis, l’être humain a un indécrottable besoin de se raconter des histoires. Sans compter que, suite à l’émergence des sciences sociales, nous avons fini par penser que les seules causes de l’évolution humaine étaient culturelles ou environnementales, reléguant les facteurs biologiques à la préhistoire. L’ennui, c’est qu’en ramenant la théorie de l’évolution à un simple récit des origines, on la vide de sa substance, on oublie qu’elle reste encore aujourd’hui une clé fondamentale pour la compréhension du monde vivant. Il n’y a en effet pas de raison de penser que l’évolution s’arrête là où commence l’humain. Et ne pas s’en rendre compte ou ne pas vouloir l’admettre peut mener à de graves ennuis.


C’est à cette méconnaissance qui touche même le monde scientifique que s’attaque Michel Raymond dans ce petit ouvrage non dénué d’humour qui présente les réponses souvent décalées de la biologie évolutive dans des domaines aussi variés que l’alimentation, la santé, la politique, les conflits armés, les rapports sociaux, l’écologie familiale… Je n’ai pas l’intention de proposer ici un résumé détaillé de l’ouvrage mais le moins que l’on puisse dire est que beaucoup en prennent pour leur grade. L’auteur fustige l’industrie agro-alimentaire, dont les intérêts sont aux antipodes de ceux de la santé publique, ainsi que les gourous de l’alimentation en collusion avec ces industries – tel ce psychiatre dont je tairai le nom, auteur d’un best-seller qui vante abondamment les oméga-3 et qui s’avère un des principaux actionnaires d’une firme qui en commercialise. Michel Raymond taille aussi des croupières aux médecins sans imagination qui se contentent de soigner des symptômes de prétendues carences ou maladies sans chercher à savoir s’ils ne sont pas des mécanismes de défense de l’organisme. Il dénonce l’imposture psychanalytique, construction théorique parfaitement artificielle - ah, le prétendu parricide originel soi-disant fondateur de la culture et de la religion, que Freud a inventé de toutes pièces et qu’aucune recherche scientifique sérieuse n’a pu corroborer ! Il tord le cou au politiquement correct, rappelant qu’il n’existe pas d’égalité en biologie et que nier cette évidence parce qu’elle ne cadre pas avec certaines représentations culturelles qu’il est de bon ton de partager est tout simplement une ineptie. Les groupes humains connaissent des adaptations distinctes selon leur environnement, ne pas vouloir l’admettre au nom d’une prétendue égalité de principe peut avoir des conséquences extrêmement néfastes, notamment dans le domaine de la santé. Quant aux hommes et aux femmes, ils ont bel et bien des différences d’ordre chromosomique, physiologique et cognitif, n’en déplaise aux adeptes de la théorie du genre.


On aurait tort de penser que Michel Raymond, ramenant tout à une perspective purement scientifique, refuse toute influence du culturel. Il existe des disparités sociales, raciales, sexuelles sans aucun fondement biologique et c’est clair qu’il faut les combattre mais nier ce que la science nous enseigne ne les fera pas disparaître. Au fond, il nous est toujours difficile de nous considérer comme des êtres vivants comme les autres, d’admettre que nous sommes soumis aux lois de la nature et qu’au moins en partie, nous ne choisissons pas ce que nous sommes. Mais chercher à abolir les inégalités d’ordre culturel en invoquant une prétendue égalité biologique n’est certainement pas la bonne méthode. C’est au contraire en tenant compte de ces différences, en expliquant leur origine et leur fonction, qu’on pourra faire reculer l’obscurantisme, jeter les bases d’une véritable égalité entre les êtres et bâtir peut-être une société meilleure.

No_Hell
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le 1 mars 2017

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No_Hell

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