Contagion

Des recueils de perles, il en existe des centaines. Des recueils de perles issus du dépouillement de « 6 000 textes » (p. VIII), c'est déjà plus rare. Des recueils de perles qui en indiquent presque systématiquement la provenance, excluant ainsi les bons mots que tout le monde connaît mais que personne n'a jamais lus nulle part, ça doit se compter sur les doigts d'une main. Et des recueils de perles aussi cohérents que l'œuvre de Bechtel et Carrière, je n'en ai pas lu d'autres. (Le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert – envers lequel celui-ci a quelques dettes, dans l'idée et parfois dans la formulation des sous-titres qui annoncent ou structurent les articles – est cohérent, mais plus abstrait.)
De fait, plus qu'un simple florilège, le Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement est un livre dont l'unité est assurée par une ambition qui dépasse la moquerie passagère et le goût de l'étonnement gratuit : il s'agit pour les auteurs de « refléter les faits, les idées ou les hommes qui n'ont pas été reconnus par l'histoire » (p. XII), de « remettre les choses en place » (p. X), « d'acquérir une anticulture » (p. XI) et, de là, d'en assurer la diffusion. Rien de moins. Mais ces déclarations d'intention se vérifient dans les faits – et dans le texte.
« Qu'était-ce au juste la bêtise ? La bourde à course de plume, l'injure imméritée, le pataquès, la gaffe, la logique excessive, l'imagerie sans frein, le pari stupide, la simple idiotie, l'hypocrisie, l'aveuglement, la haine, l'esprit de parti ? / Elle était tout à la fois, et bien plus encore » (p. XI) : tout le dictionnaire illustre ce passage de l'« Éloge de la bêtise » qui en constitue la préface. C'est ce qui le rend agréable à lire, même à la suite.
Avec un horizon assez flaubertien : après quelque cinq cents pages, on appréhende de parler, de peur qu'une absurdité nous échappe — crainte de la contagion.