Source : Dictionnaire philosophique - GARNIER 1878


Il n'est pas évident de venir à bout des quatre tomes de cette édition, cela représente environ 2500 pages ; à raison de cent pages par jour, cette lecture prend près d'un mois pour les plus téméraires. Cette entreprise relève de la gageüre, il n'est pas raisonnable de lire une telle oeuvre comme on lirait un roman-fleuve ; au même titre qu'une personne sensée ne s'adonnerait pas à la consultation de tous les articles présents sur Wikipédia, pour peu que cela eût seulement été possible. Mais attendu que le rédacteur de cette critique avait déjà lu en huit mois l'édition numérique du dictionnaire Le Grand Robert, il n'était plus à une action insensée près.


C'est encore un travail qui tient de la déraison que d'entreprendre la critique de cette compilation voltairienne. Si l'on devait trouver une comparaison à cet ouvrage, on dirait très justement que le dictionnaire philosophique s'apparente à un blog. N'a-t-on jamais vu quelque auteur se décider à critiquer un site internet, et à plus forte raison un blog ? Il eût au moins fallu prendre des notes au cours de la lecture pour rendre compte avec une certaine exactitude de sa teneur. J'avouerai ne me souvenir aucunement de la plupart des articles ; aussi, cette critique se voudra générale, c'est-à-dire que la forme et le fond auront une importance égale dans l'appréciation.


Si l'oeuvre s'appelle Dictionnaire philosophique, il est surtout question des religions, c'est de toute évidence le thème principal puisqu'il occupe la majorité des articles. Voltaire nous montre l'étendue de ses connaissances sur les textes sacrés mais également sur toute l'histoire du développement du judaïsme et du christianisme pour en pointer l'ensemble des incohérences et contradictions qui s'en dégagent, toujours dans un style élégamment ironique qu'il feint de masquer.



Tout a été mystérieux et caché dans la nation conduite par Dieu même, qui a préparé la voie au christianisme, et qui a été l’olivier sauvage sur lequel est enté l’olivier franc. (ADAM page 56)



On ne cachera pas notre frustration, lorsque émerveillés au premier volume par la culture de l'auteur, on se lasse de la neutralité encyclopédique avec laquelle il écrit dans les volumes suivants ses articles traitant de religion ou d'histoire. Il est d'ailleurs à remarquer que cette rédaction a dû ennuyer l'écrivain lui-même puisque la lettre A prend 500 pages quand la lettre R en compte à peine 50.


Après les articles religieux, c'est sans doute de poésie dont il est le plus question dans cet ouvrage. Nombreuses sont les citations des auteurs anciens et modernes qui viennent agrémenter les réflexions du philosophe. Voltaire étant lui-même poète, il utilise une double vision, tantôt celle du spectateur, tantôt celle du critique pour apprendre au lecteur à repérer le bon du mauvais vers. Il a pourtant négligé d'apprendre à nous faire aimer la poésie.


Ce qui excite le lecteur dans ces livres, ce n'est pourtant ni la religion, ni l'histoire, ni même la poésie. Ce sont les railleries tant à l'égard des religieux et principalement des jésuites qu'à l'égard des philosophes et critiques comme Rousseau ou Fréron. On rit volontiers avec l'auteur de ces médiocres individus, lui-même disant : "j’aime toujours à parler de l’ami Fréron : cela me fait rire." L'article PIERRE LE GRAND ET J.-J. ROUSSEAU marque l'esprit du lecteur par la puissante ironie qui s'en dégage et l'humiliation d'un des précurseurs du gauchisme.


Outre la volonté manifeste d'humilier toutes les impostures de son siècle et d'étaler toutes les connaissances qu'il a accumulées en plus de cinquante ans, il faut reconnaitre que l'esprit de composition de Voltaire est un des plus brillants que ce globe terraqué ait compté. L'harmonie des mots, l'élégance ironique, la précision lexicale, la recherche analogique sont des qualités remarquables chez l'auteur ; lorsqu'on survole de nouveau l'oeuvre, on a envie de regouter ses délices prestement. Malheureusement, cette lecture est trop longue, trop de religion, trop d'histoire, trop de poésie qui gâchent tout le talent voltairien, quoiqu'on en apprenne beaucoup grâce à l'ouvrage.


Finalement, ce Dictionnaire philosophique représente l'esprit de son auteur, nous parlant de ce qu'il aime, de ce qu'il sait et de ce qu'il méprise avec la grâce qu'on lui connait. Il eût sans doute été plus pertinent de lire cette oeuvre dans un format court, à l'instar de l'illustration de la critique, pour en améliorer sa note mais le lecteur ne regrettera pas d'avoir pris une centaine d'heures pour venir à bout de ce travail colossal, bien qu'on soit soulagé lorsqu'on l'achève enfin.

kaireiss
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le 12 déc. 2021

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