Disgrâce
7.4
Disgrâce

livre de J. M. Coetzee ()

David Lurie est un professeur sûr de lui et séducteur. Quand une de ses étudiantes l’accuse de harcèlement sexuel, il est contraint de démissionner. Il décide de rejoindre sa fille Lucy dans une ferme perdue dans la campagne. Un jour ils sont victimes d'un drame qui va profondément les changer l'un et l'autre. Tentant de se reconstruire chacun à sa façon, une certaine distance apparaît entre eux.


Le personnage principal, David Luce, est un homme antipathique. Arrogant et dominateur, il fait peu cas des états d’âme de ses conquêtes. Il est incapable de comprendre en quoi il a mal agit. Face aux femmes il est complètement dominé par ses hormones, il se dit être "esclave d'Eros".


- Et pourquoi est-ce que je devrais faire ça ?
- Pourquoi ? Parce que la beauté d'une femme ne lui appartient pas en propre. Cela fait partie de ce qu'elle apporte au monde, comme un don. Elle a le devoir de la partager.

C'est aussi plein d'arrogances et de préjugés que David Luce arrive dans la ferme de sa fille. Il a un temps souhaité une autre vie pour elle mais s'est résigné. Il porte néanmoins un regard critique sur la négligence vestimentaire de sa fille et sur ses occupations. Il observe ses amis et ses voisins avec distance et condescendance. Quand arrive le drame, tout cet environnement lui devient hostile. Il découvre les fractures de son pays. Ce qu'il avait ignoré jusqu'à présent surgit. Il subit la violence faite de haine froide et de blessures non cicatrisées. Révolté, il veut protéger et venger sa fille mais celle-ci tente de se reconstruire en acceptant leurs sévices comme des punitions des agissements passés.


David Luce est aussi confronté à l'indifférence du voisin noir de Lucy, Petrus. Au courant du drame, probablement complice, ce dernier reste de glace face à eux. Il ne prend pas la peine d'expliquer son attitude ni ses liens avec les agresseurs. C'est la loi du silence et le soutien au sein du groupe qui priment. David Luce fait face à une communauté qu'il a jusqu'à présent ignorée et qui le méprise. C'est pour lui l’émergence d'une remise en cause et la découverte des changements opérés dans son pays. A plusieurs reprises il se fait la réflexion qu'il y a peu les noirs auraient été ses "boys".


La frontière entre culpabilité et innocence se brouillent. Le thème de la compassion revient aussi à plusieurs reprises. Il y a les violences faites aux femmes mais aussi la souffrance animale. David Luce, aidant à euthanasier des animaux, s’interroge sur la vieillesse, la déchéance et la mort. C’est de la disgrâce sous toutes ces formes dont il est question.


Le style est froid et direct. Il laisse le lecteur à distance des personnages. Nous les observons dans leur noirceur et leurs doutes. Malgré la violence et les drames, Coetzee évite toujours le pathos. A travers cette histoire, ce sont les fractures de son pays qu'il met en avant. Sans en faire un pamphlet ou un roman engagé, il parvient avec subtilité à décrire l'incompréhension mutuelle entre les noirs et les blancs de son pays et les souffrances de l'après apartheid.


C'est un roman sombre, parfois même pessimiste, mais fort. Au delà du contexte géographique, il nous confronte à des personnage singuliers et ambiguës.

Anaïs_Alexandre
8

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mes lectures de prix Nobel

Créée

le 24 oct. 2017

Critique lue 643 fois

1 j'aime

Critique lue 643 fois

1

D'autres avis sur Disgrâce

Disgrâce
nostromo
7

La chute...

Beau livre à la lecture assez éprouvante, Disgrâce impressionne autant par sa prose limpide qu' il nous éreinte par sa noirceur. L'histoire nous raconte la disgrâce subie par David Lurie, un prof de...

le 27 avr. 2016

7 j'aime

Disgrâce
Jduvi
8

L'appel du lyrisme

En 2016 j’ai passé un mois en Afrique du Sud dans le cadre d’un tour du monde. La première chose qui m’a frappée en arrivant à Johannesburg, ce sont les villas entourées de barbelés et marquées Armed...

le 2 déc. 2022

2 j'aime

Disgrâce
__Clap
5

Peu de motivation pour le finir...

Tout d'abord je dois avouer que c'est un livre qu'on m'a imposé à lire pour les cours, donc tout de suite ça commence mal... Au début je trouvais que la lecture était simple et facile à...

le 24 sept. 2009

2 j'aime

Du même critique

Pastorale américaine
Anaïs_Alexandre
9

Critique de Pastorale américaine par Anaïs Alexandre

L'histoire nous est racontée par Nathan Zuckerman. Il s'agit d'un narrateur récurrent des romans de Philip Roth, un écrivain solitaire et observateur de ses condisciples. Celui-ci retrouve Seymour...

le 13 mai 2018

9 j'aime

1

Va et poste une sentinelle
Anaïs_Alexandre
10

"Je t'ai tuée, Scout. Il le fallait !"

Comme beaucoup je garde un souvenir impérissable de ma lecture de Ne tirer pas sur l'oiseau moqueur. Le personnage de Scout fait partie de ceux qui m'accompagnent encore et se rappelle à moi...

le 19 oct. 2015

7 j'aime

Steak Machine
Anaïs_Alexandre
9

"Les abattoirs créent des handicapés."

Geoffrey Le Guilcher est journaliste indépendant et s'est intéressé aux abattoirs suite aux vidéos publiées par l'association L214. Face à ces actes de maltraitance animal, il s'est demandé qui...

le 7 févr. 2017

6 j'aime