Après un premier tome installant doucement mais sûrement l’assise du pouvoir d’un seul homme sur l’ensemble de la population coincée sous le dôme de Chester’s Mill, le second volume en vient aux sanglantes conséquences de ce



fascisme aveugle et avide.



Celui qui depuis longtemps est considéré comme le maître de l’horreur développe ici le propos entamé sous la loupe du premier volume et, passée la lente montée des tensions, commence de crever les abcès purulents de la haine, de la cupidité, de la méfiance, et de laisser couler le sang des conséquences désastreuses de ses paniques, de ses fuites et de ses renoncements, de ses aveuglements, sur une société animée et dirigée par la terreur – sur une insouciante fourmilière trop habituée au calme pour réagir. Stephen King condense les dérapages insensés, irrémédiables et horriblement rapides, de ceux à qui l’on donne le pouvoir pour laisser mourir un par un ceux qui laissent faire : pas de menace extérieure et inconnue ici, seulement des hommes à l’œuvre et leurs choix qui ne conduisent toujours qu’au pire.



Comme la plupart des démagogues de talent, il ne sous-estimait
jamais la capacité du public qu’il ciblait à accepter l’absurde.



Un point de sarcasme appréciable tant l’auteur joue justement de cet effet avec Dôme.


Le portrait du mal incarné sous la façade du fervent croyant qu’est Big Jim Rennie transperce à travers les manipulations conscientes et égocentrées de cet homme que plus rien désormais ne rattache à l’humain. Acteur de sa propre survie uniquement, le conseiller municipal se taille, vieux lion autoproclamé de plus en plus exposé dans ses retranchements, un trône inaccessible sous couvert du bien de tous, et la foule incrédule, terrorisée et désespérée, se laisse manœuvrer sans jamais chercher à entrevoir la vérité derrière les évidents mensonges. La coupe de l’état policier tombe aussi sûrement que le dôme s’est posé, plus meurtrière encore, et souligne le faible poids que le lourd dictateur accorde à la vie d’autrui, jusqu’à ses proches. Le personnage pourra paraître extrême mais n’est jamais caricatural : tout s’écrit dans



la fluidité tangible d’une psychologie plus que plausible, déterminée et suintant de réalité.



Là où le fascisme ne s’installe pas face à la multitude des esprits libres, Stephen King souligne combien il est au contraire aisé d’y venir dans une société restreinte et apeurée où la foule n’existe plus par sa diversité mais par l’unicité d’un sentiment partagé et cet impératif de se laisser manipuler pour nourrir sa foi et son espoir de survie face au courroux divin ; sans comprendre que c’est justement l’abandon de ces individualités, de sa propre diversité, qui fait sa force et qui serait le meilleur moyen de trouver une issue. Malade, d’angoisse et de ce sentiment d’imminente fin, la foule accepte le traitement qui lui est administré sans y poser une seule question, reconnaissante simplement qu’un homme soit là, présent, à son chevet. Aussi mal intentionné soit-il.



Quiconque a accompagné un malade en phase terminale vous dira que
vient un moment où le déni laisse finalement la place à l’acceptation.
(…) Le déni laisse la place à l’acceptation ; l’acceptation engendre
la dépendance.



Cette dépendance amène l’abandon total des libertés : de la liberté de penser en tant qu’individu, de la liberté de réfléchir intelligemment à la situation afin de la comprendre, de l’accepter ou de s’y opposer. D’être. Et forcément mène à la camarde. Le point d’accroche, là où le dirigeant tient ses ouailles et où l’auteur ausculte son époque, c’est évidemment le confort des sociétés occidentales qui imbibe un quotidien d’abandon. Tant que chacun garde ses habitudes, son confort d’une existence réglée, morne et adoucie par les petits extras de la vie, personne, nulle part, n’a intérêt à tenter de changer l’ordre des choses. Et quand tout cela disparaît sous le dôme qui les isole, les retranche de ce seul monde qu’ils connaissent, au lieu d’y trouver un affranchissement, un chemin de conscience de soi et d’appartenance à un groupe, Dôme met en lumière combien cette dépendance n’a fait que les affaiblir, que les rendre incapables de se hisser à ce niveau supérieur de survie, âmes perdues, sans but et sans esprit.



Ils veulent de quoi manger, Oprah à la télé, de la musique
country et un lit bien chaud pour sauter leurs mochetés quand vient le
soir. Afin d’en faire d’autres comme eux.



Le portrait de nos humanités branchées sur le superflu de ce confort mensonger démontre combien l’effet de foule déshumanise plutôt que d’élever. Ainsi le trajet des autres, de ceux qui résistent, autour de Dale ‘Barbie’ Barbara, jusqu’au judas dans la boîte de leur propre relativité vient alors soulever la part d’initiative collective, d’écoute et de survivre ensemble, avec cet écho terrible de tous ceux qui y sont sacrifiés. Entre darwinisme et déterminisme social, l’auteur vient proclamer que



la survie, évidemment, tient dans l’entraide et la coopération.



Dans une équité de tous, hommes et femmes de sept à soixante-dix-sept ans, de tous horizons. Que nous avons suivis avec fébrilité tout au long de cette épopée dense de milliers de pages pour une courte semaine d’angoisse étendue jusqu’à l’insupportable. Personne ne reste totalement innocent, l’homme n’est pas une fourmi finalement – quoique ? qu’en savons-nous ? – puisqu’après l’horreur, plus rien jamais ne sera pareil, il continuera de vivre avec le poids dessus l’abysse du quotidien, de ses erreurs, de ses errances et de ses pertes, de ses échecs.



Les remords et le chagrin que l’on éprouvait pour une faute


étaient mieux que rien, (…) mais aussi écrasants qu’ils soient, les
remords ne permettraient jamais d’expier la joie ressentie dans la
destruction.



Dôme se résoudra pour certain, pour ceux qui attendent une incroyable réponse à leurs terribles sueurs de lecteurs avides de grandes peurs, dans l’absurdité même avec laquelle il s’ouvre. Sans réponse fantastique, sans horreurs après l’apocalypse, sans invasion ni révélation.


Mais Stephen King nous a tenu l’haleine sur une semaine intense à la rencontre de personnages banals autant qu’incroyables, sous la loupe déformante d’une situation extrême où personne n’échappe au révélateur. Sublime et magistral, Dôme, malgré la formule éprouvée du maître sur le récit choral, et dont nous adorons nous repaître, subjugue par la véracité et les suées moites qui transpirent de concert tout au long d’un pavé qui s’engloutit autant qu’il nous submerge au plus profond : que reste-t-il de nos chemins, homme ou fourmi, au crépuscule ?



Que nous reste-t-il d’humanité poussés dans nos derniers retranchements ?


Matthieu_Marsan-Bach
8

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Créée

le 6 déc. 2017

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