Une lecture mitigée, pour cette réécriture de contes. Je dois dire que le livre est un bel exemple d'enrobage marketing: Couverture rigide en relief avec un fini lustré et du rouge métallique , avec une tranche jaspée, des inter-chapitres en pleine page noire ayant les mêmes ronces que la tranche et la couverture, le petit ruban rouge qui sert de marque page...il y a beaucoup de luxe pour l'objet lui-même, qui se détaille à 36.95$. Malheureusement, l'histoire n'en valait pas la peine, du moins pas avec autant de glaçage. Ce peut même devenir un double tranchant: après avoir payé un prix pareil, on s'attend à de la haute qualité littéraire, de quoi expliquer autant de chichi. La libraire que je suis a l'impression que les maisons d'édition, plus que jamais, nous enfoncent des Best-Sellers dans la gorge: Tenez, on l'a déjà mit en format de collection et il est plus clinquant que les autres, allez, voici votre prochain Gros Vendeur! Bref, il est très beau ce livre, mais il aurait mérité une mise en forme plus sobre et moins susceptible de lui donner un prix aussi élevé.



Ce livre aura nécessité aussi une réflexion quand à son lectorat. "Le rayon de l'imaginaire" qui appartient aux éditions Hachette, a toujours été placée en librairie adulte jusqu'à présent. Nous l'avions a priori placé en Jeune adulte, vu l'âge du personnage. Après lecture, je le placerai en littérature ado.



Mon constat face au lectorat rejoint quelques critiques que j'ai pu apprécier sur Babelio et qui soulignent le côté "très ado" du livre. Ce n'est pas une tare majeure, mais un personnage de 21 ans qui se comporte en ado et une littérature qui propose un français moyen et des codes de littérature ado, ça peut induire les Lecteurs en erreur.



Dans cette réécriture, nous avons une jeune femme, Zinnia, 21 ans, qui vit avec un syndrome, celui de Roseville, et comme les autres jeunes victimes, a un ARN qui se met à engendrer des mutations inutilisables sur ses protéines. Entre autres désagréments, la maladie donne une espérance d'environ 22 ans.

C'est dans ce contexte que Zinnia s'apprête à vivre sa très probable dernière année de vie. Sa meilleure amie Charmaine lui a d'ailleurs élaboré une soirée surprise au sommet de leur "tour", mirador d'un ancien pénitencier. Roses rouges, rouet, couronne en plastique, "Charm" s'est inspirée de la passion limite déraisonnable de Zinnia pour le conte "La Belle au Bois dormant", dont elle connait toutes les inclinaisons et versions, en bonne spécialiste du folklore. Contre toute attente, quand elle se pique le doigt sur le rouet, influencée par le paris de son amie de le faire. Elle se retrouve alors dans un monde qui a des airs de contes, dans la chambre d'une improbable beauté doublée d'une princesse, Primerose de Perceforest.



Attention, divulgâches possibles.



L'idée de base est très intéressante. Sorte de multivers qui se font entrecroiser des archétypes féminins ayant un sort similaire ( condamné au sommeil-ou la mort) et leur donner la possibilité de faire des choix, elles qui subissent le choix d'autres gens, est en soit bonne. Néanmoins, ce genre de monde aussi versé dans le conte et ses contraintes sexistes aurait mérité plus de place pour asseoir ses enjeux. On ignore par exemple, ce que les autres "Belles endormies" avaient réellement de commun. Le passage entre les univers est flou, même s'il a été nommé comme "une résonance de narration". Il faut planter le décor pour forcer le passage, oui d'accord, mais pourquoi autant de variations? Bref, j'aurais aimé plus de travail sur ce point, qui est vraiment important.



À l'instar de Maléfique, dans le nouveau film de Disney ( d'ailleurs nommé lui aussi dans le roman), nous avons un réalignement de l'objectif de l'antagoniste. Ici, la "fée maléfique" n'est pas une ennemie, en fait elle n'a jamais "nuit" non plus, ce qui lui donne le mauvais rôle, mais pas celui d'une réelle antagoniste. Zellandine est l'incarnation d'une version beaucoup plus sombre et moralement condamnable de la Belle au Bois dormant, celle qui a été violée durant son sommeil par le "prince charmant". Elle cherche donc à éviter le même sort aux autres filles, surtout les princesses, celles qui ont le moins de chance possible d'échapper à leur condition et leurs obligations. On apprend que ses idées de cachettes et de plans rejoignent les récits de moult princesses de contes, notamment Blanche-Neige. C'est donc un univers beaucoup plus complet qu'y s'ouvre ici, impliquant d'autres contes. Cela dit, on perd rapidement cet axe, on n'est ni appelé à croiser d'autres victimes de ce monde-là ni Zellandine elle-même. Elle affirme qu'elles se reverront, mais je suppute que ce sera dans les tomes prochains.


Zellandine a donc voulu épargner à Primerose un mariage malheureux ( qu'on devinera assez facilement être désavantageux pour elle, d'abord parce que Bidule-prince est un con, ensuite parce qu'elle est gay) en la plongeant dans un sommeil de 100 ans, en espérant que Bidule sera mort d'ici là et que les mœurs auront évolué. Néanmoins, dans la logique des choses, si la princesse devait se piquer le doigt à 21 ans, logiquement, on l'aurait mariée à 14 ans, ce qui lui aurait donner le temps de pondre au moins sept enfants pour un guignol titré quelconque. Pas le meilleur des plans, je trouve. Et je note au passage que si 21 ans est utilisé, c'est parce que c'est l'âge légal aux États-Unis, de NOS JOURS. Historiquement, on mariait les filles dès qu'elles devenaient pubères, donc entre 14 et 16 ans, en moyenne. C'est un peu anachronique de prétendre le contraire, mais bon, on est dans un conte, l'autrice peut bien se jouer de l'Histoire si elle veut.



J'ai apprécié le travail entourant Primerose, même si l'histoire étant rapide, on en découvre pas tant que ça, finalement. Elle n'est pas stupide, sait avoir un certain sang-froid et se montre proactive. Je n'ai pas trop comprit pourquoi elle a frotté sa mains au sang sur une pierre puisqu'elle avait un couteau sur elle, en revanche, quand elle a fait son don de sang au corbeau pour aller chez la fée maléfique. Ce qui me fait penser, en outre, qu'il était assez révélateur de son état d'esprit ce couteau, caché sous ses oreillers. Il m'a aussi induite en erreur: je croyais qu'on allait au devant d'évènements sombres avec cette réécriture, mais en fait, pas tant que ça.



Ce qui m'amène à traiter de la facilité de l'histoire. Tout est commode, tout tombe bien et on a droit à des miracles. Il y a quelque chose de conflictuel avec ce genre de traitement par rapport à la lourdeur des thèmes comme l'asservissement des femmes, la maladie grave et les versions de contes ténébreuses. J'aurais pensé qu'à la manière de "L"apprenti-conteur" de Gäel Aymon, on aurait remonté le temps à la source des contes du foklore, ceux qui se sont déclinés en nombreuses version et dont la nature était beaucoup plus perturbante et noire que les versions édulcorées et stupides des auteurs modernes. C'est un peu le cas avec Zellandine, mais pas tant que ça. On reste dans le registre "gentil" et "fin heureuse" des histoires contemporaines, se contentant de faire converger des femmes plus dégourdies que leurs homologues Dinseyesques pour en sauver une. Ça me semble de surface, incomplet. Pour un lectorat de 10-14 ans, moins connaissant des réalités sociales et des enjeux de genre, ça convient, mais pas pour du Jeune adulte ou de l'adulte. Mon avis, bien sur.



Un aspect qui était intéressant était la notion "d'amour étouffant". L'amour ne devrait jamais être un fardeau, autrement, il tend a devenir malsain. C'est ce qui arrive à Zinnia avec ses parents, qui plutôt que d'orienter leur énergie sur les besoins et les intérêts de leur fille, centrent sur leur besoins à eux. Plutôt que de considérer ce que Zinnia veut faire de sa vie écourtée, ils se mettent à accaparer son temps et lui mette des restrictions pour mieux la préserver. C'est humain, mais ça ne veut pas dire que c'est sain. Et ça prive Zinnia de vivre sa vie ( justement écourtée, alors raison de plus).



Zinnia et Charmaine ( "Charmant") ont une façon puérile de se parler. Ça me rappelle tous ces romans moches pour "ados" écrit par des auteurs qui pensent que les ados parlent mal et s'insultent pour mieux s'aimer. C'est moche et c'est peu crédible, surtout pour des jeunes adultes de 21 ans. Parfois, Zinnia nous parle à nous, Lecteurs et Lectrices, et ça aussi c'est pas toujours élégant. Et comme d'habitude avec les traductions françaises de France, on nage dans les termes pas très jolis du jargon parisien. J'aimerais qu'un jour les traducteurs de France aient la même délicatesse que les traducteurs du Québec: Utiliser le français international, c'est plus esthétique et surtout moins chiant à lire quand on n'est pas familier avec le jargon de Paris. Et puisque je traite de la forme, j'aurais aimé ne jamais voir autant de surlignage pour distinguer les textos, ça ressemble à un manuel scolaire plus qu'à un roman et c'est moche. Enfin, je déteste quand on place des premiers chapitre du tome suivant à même le roman. Les lire ne mène pas forcément à plus de garantit de lecture pour le tome suivant, pour ma part et qui plus est, prend de la place. Une place qu'on paie. Il y a donc 34 pages dans ce livre qui n'est pas en lien avec la présente histoire.



Donc, en conclusion, il y a du beau potentiel et de bonnes idées, mais servi par une écriture et une cohérence hasardeuses. Je suis tout-à-fait d'accord qu'on reprenne les contes pour mieux extirper les modèles désuets et débiles, tout en rafraichissant leur code morale questionnable ou leurs valeurs à la faveur des élites sociales et économiques. Mieux, il est bon de rappeler que les contes avaient différentes origines, dont certaines très sombres. En revanche, le tout tend beaucoup trop vers les clichés américains de base et se perd dans trop d'éléments, qui auraient eu ayant besoin d'être étoffés.



Pour un lectorat adolescent, second cycle primaire, 15 ans+

Shaynning

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