A la pléthore de topos philosophiques et réflexifs survolés, s'ajoutent d'innombrables lieux communs stylistiques. Ou est-ce la traduction ? Toujours est-il que malgré un acharnement à produire un texte poétique, peut-être sibyllin voire symbolique et novateur pour l'Islande marquée par ses sagas, Stefansson produit un livre facile à lire, certes joli mais sans plus. Néanmoins, le jeu sur les différents types de discours dans les dialogues est intéressant.
Le fond, d'un grand intérêt si l'on y regarde de plus près, hors-contexte du roman : pêcheurs et société islandaise rurale et littorale du XIXème siècle, poésie, métaphysique, etc. Tout ceci, bien traité, aurait pu se révéler passionnant. Il l'est lorsque quelqu'un nous le résume, que ce soit un simple résumé exempt de prévention sur la médiocrité (dans le sens de « moyen ») du traitement opéré par l'auteur ou alors avec une foule d'adjectifs hyperboliques et enthousiastes. En effet, je ne saurais dire s'il s'agit du style, somme tout assez peu original et plat, le détachement artificiel et exagéré du narrateur, les coupures réflexives mais je n'ai rien trouvé de profond et de bien mené. Pourtant, sur la même méthode d'inter-calage, de coupures, de détachement, Milan Kundera y parvenait bien.
Stefansson veut jouer avec les codes romanesques. Il se base sur une histoire simple, sans grandes actions, saupoudrée de méditations existentielles, d'une psychologie des personnages. Tout ceci est coagulé puis réparti de manière décousue, avec un jeu de style sur les pronoms, les discours et quelques intermèdes hors de l'histoire, des réflexions philosophiques ou des comparaisons anachroniques, aussi nommées métalepses pour ce second point. Métalepses intéressantes mais peu élégantes et difficilement compréhensibles. Effectivement, le roman est bousculé, difficile à résumer, sa linéarité est hachée, l'on ne voit où l'auteur veut en venir... mais c'est une bousculade brute, sans qualité et sans finesse, qui montre juste une rupture pour une rupture. Une petite hémorragie avec les éléments aura peut-être concouru à ce résultat en perdant le plasma essentiel pour ne garder que la forme insipide.
Peu importe, je n'ai pas du tout été prise et séduite par ce roman et cet auteur que l'on m'avait tant vendu. Je n'en suis pas non plus à refuser de lire d'autres ouvrages mais je ne l'aime pas spécialement. Je me suis retrouvée projetée à distance, non pas dans une démarche et une volonté critique, mais bien par incapacité à plonger entre les mots, tombant sur un vide hermétique. Je n'ai rien ressenti à cette lecture, ni inquiétude, ni espoir, ni chagrin, ni pitié... Rien, je n'ai pas été fébrile et désespérée à la mort de Bardur, je n'ai pas un seul instant eu peur pour le gamin et je lis ses élucubrations existentielles avec mépris (pas qu'en soi elles le soient mais la façon dont cela est fait). Son désintérêt de la vie, venu bien sûr d'une insoutenable perte, il fallait bien un déclencheur après tout, est à peine brossé et esquissé, comme son identité ou les diverses émotions. Rien. La lourdeur poétique pèse sur l'histoire et l'aplanit au point qu'elle ne nous intéresse plus.
Je me souviens de la course de Wronski dans Anna Karénine. Je l'avais visionnée en film auparavant, je connaissais donc le déroulement et l'issue. Ces prédispositions ne m'ont aucunement empêchée de vivre la course, l'exaltation, l'euphorie, la vanité du comte, le choc de la chute et la lente déchéance douloureuse. J'ai souffert avec l'animal à la colonne brisée, j'ai senti tout le désespoir de Wronski humilié. J'en étais même venue à espérer qu'il ne tombe pas. Face à Tolstoï, Stefansson ne m'a paru que vide.
Auteur qui prétend à la légèreté au détachement... Milan Kundera revient sur le terrain dans cette critique, il a cette légèreté, cette distance, cette hauteur sans en oublier une profondeur des personnages et de sa réflexion. Il parvint à mettre en mots ce même pari que Stefansson. Ce dernier ne dépasse pas même l'expression des topos, il les reprend, vie, identité, suicide, sens ... il les exprime... Et ne les dépasse pas, ne réfléchis pas dessus, il s'y cantonne. Sa légèreté est superficialité.
Pour conclure je ne recommanderais ni ne décommanderais ce roman à personne. J'en connais qui ont apprécié et me l'avaient chaudement conseillé. J'en connais d'autre qui n'ont pas aimé et ce n'est de toute façon pas à moi de dire ce qui se lit ou non (à personne d'ailleurs). Peut-être est-ce le gouffre entre mes attentes et la réalité qui a provoqué ma déception et assombrit par là même ma lecture.

Indriya
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le 28 sept. 2017

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Indriya

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