Florida Roadkill
7.5
Florida Roadkill

livre de Tim Dorsey (1999)

Complètement barré et furieusement drôle

Digne héritier des grands écrivains floridiens, souvent comparé à Dave Barry et Carl Hiaasen en raison de certaines similitudes dans leurs techniques d'écriture, Tim Dorsey est pourtant un auteur d'une grande singularité. Par certains côtés, ses romans rappellent ceux de Donald Westlake (personnages loufoques, humour omniprésent), mais la farce est chez Tim Dorsey poussée à son paroxysme. On évolue indiscutablement en plein registre burlesque, exacerbé par l'emploi systématique du caméo, un procédé littéraire qui consiste à multiplier les brèves apparitions d'une foultitude de personnages secondaires plus ou moins liés entre eux. Le caméo relève généralement du clin d'oeil plus ou moins appuyé, mais chez Tim Dorsey, c'est un mode d'écriture à part entière qui fait toute l'essence de son style.

S'il n'y a pas à proprement parler de héros dans les romans de Tim Dorsey, Serge A. Storm, sociopathe caractérisé d'obédience floridienne, est ce qui s'en rapproche le plus. Accompagné de son pote déjanté, Coleman, toxicomane patenté et ivrogne notoire, ils forment un couple de joyeux fêlés, auquel vient se greffer la délicieuse mais vénéneuse Sharon, une stripteaseuse cocaïnomane de classe internationale. L'intrigue des romans de Tim Dorsey est souvent assez lâche, pour ne pas dire ténue, même si dans le cas présent nos trois lascars ont entrepris de monter une arnaque à l'assurance tout ce qu'il y a de plus classique, afin de toucher un petit pactole de 5 millions de dollars. Seul souci, la victime n'est pas consentante. Ce dentiste quinquagénaire voit d'un mauvais oeil le plan de Serge, qui consiste à lui couper plusieurs doigts de la main, principal outil de travail qu'il avait pris soin d'assurer pour une somme assez coquète (précisément 5 millions de dollars). Il voit d'un plus mauvais oeil encore l'idée lumineuse de Serge, qui consiste à partager le magot en quatre parts égales. Notre dentiste lâche donc quelques dizaines de milliers de dollars aux trois compères et prend la tangente pour se dorer la pilule dans les Keys. Mauvais plan ! Serge, Coleman et Sharon se lancent à sa poursuite pour récupérer le pognon et en profitent pour faire du tourisme, délester quelques portefeuilles et mettre sur les dents la moitié des effectifs de police de l'état. A cette trame principale, viennent se greffer des dizaines de petites saynètes savoureuses, avec leur lot de personnages plus ou moins récurrents.

Pour un premier roman, force est de constater que Tim Dorsey maîtrise parfaitement son sujet et sa technique d'écriture. Certes, il faut impérativement adhérer à ce type de narration, à ce faux rythme qui casse la linéarité du récit, sous peine d'être rapidement perdu. Certains esprits chagrins relèveront que l'auteur ne sait pas trop où il va, que son roman n'a ni queue ni tête ou bien encore que l'intrigue est mal ficelée. Grave erreur que de penser cela. "Florida roadkill" est un roadbook certes déjanté, mais extrêmement bien maîtrisé sur le plan formel. Chaque personnage y a sa place et sa fonction. Rien n'est laissé au hasard et chaque saynète trouve sa résolution au fil de la progression faussement chaotique de Tim Dorsey. S'il fallait trouver un défaut à ce roman, on pourrait souligner que l'auteur dresse un panorama de la société américaine bien moins virulent que dans ses romans ultérieurs. L'acidité de ses propos est nettement moins marquée, laissant la place à un humour plus bon enfant et moins acide. Alors que l'humour burlesque se révélait être une arme d'une confondante efficacité dans un roman comme "Triggerfish Twist", l'auteur évolue ici dans un registre plus basique, certes efficace mais nettement moins percutant.

Reste tout de même un roman au rythme infernal, totalement barré et parfaitement hallucinant, dont on à peine à trouver l'équivalent chez la concurrence. A condition d'être amateur d'humour noir et loufoque, saupoudré d'une bonne dose de second degré, vous allez certainement adorer. Alors foncez, la suite est encore meilleure.
EmmanuelLorenzi
9
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Créée

le 9 nov. 2012

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