Godzilla
6.2
Godzilla

livre de Shigeru Kayama ()

"Le roman fondateur du mythe", voici ce qui est indiqué sur la couverture de cette belle édition de ce Godzilla éditée par Ynnis. Je vois d'avance arriver une cohue de fans du monstre dont je fais partie se demander : "Attends Godzilla c'est une adaptation d'un bouquin à la base ?"

Il faut dire que l'auteur Shigeru Kayama n'est pas foncièrement très connu dans nos contrées. Économiste de formation et de métier, il s'est ensuite tourné vers l'écriture de fictions mélangeant fantaisie et science-fiction et est devenu un des auteurs les plus éminents de l'Empire du Soleil levant dans les années 1950.

Pour comprendre plus en détails la genèse du projet Godzilla je conseille l'excellent ouvrage Kaiju, Envahisseurs & Apocalypse : L'âge d'or de la science fiction japonaise écrit par Fabien Mauro qui est une vraie bible, un trésor qui régalera les amateurs et les curieux. On y apprend qu'en 1954 les studios Toho préparaient un drame sur fond de guerre intitulé Eiko no kage ni ( "Dans l'ombre de la gloire") qui devait se tourner en Indonésie. Cependant des tensions politiques ont mis fin au projet et le producteur Tomoyuki Tanaka devait rapidement trouver de quoi remplacer cet échec.

Et la légende débute lors du vol retour de l'Indonésie lorsque le producteur imagine par le hublot de l'avion un monstre géant sortir des flots marins. Il est motivé par la nouvelle sortie de King Kong en 1952 auréolée de succès et surtout la sortie de Le Monstre des temps perdus en 1953 qui met en scène un dinosaure réveillé par des essais nucléaires. Il voit alors l'occasion de parler de l'affaire du Daigo Fukuryu Maru et engage le fameux Shigeru Kayama pour pondre un premier jet. Celui accouche du "Projet G" qui sera remanié par Ishiro Honda et Takeo Murata. Les deux personnages vont modifier quelques points notables. Par exemple le Dr Yamane vêtu d'une cape et vivant dans une espèce de demeure gothique devient un paléontologue aimable. D'une manière générale tous les éléments sérialesques sont supprimés pour aboutir à la vision réaliste de Honda.

J'en profite pour faire un aparté mais le récit fondateur de Godzilla serait plutôt à mon sens le "Projet G" de Kayama que je serais curieux de découvrir un jour.

Le roman que nous propose Ynnis Editions est une adaptation littéraire du travail de Honda et Murata, qui s'inspire également d'un drame radiophonique diffusé par la Nippon Broadcasting pour faire patienter le public. Il sort peu de temps avant le film et est avant tout un support promotionnel qui n'est cependant pas dénué d'intérêt.

Il a le mérite de nous replonger dans l'univers du Roi des monstres grâce à une traduction française soignée de Yacine Youhat et Sarah Boivineau. Le style littéraire est très accessible et enfantin, témoin du statut promotionnel de l’œuvre. Il est clair que ce n'est pas là que le roman va tirer son épingle du jeu. Les tournures de phrases sont courtes et simplistes et certains adjectifs ou figures de style se répètent assez souvent, notamment pour caractériser le monstre ou le déchaînement des éléments qu'il provoque. Encore une fois l'intérêt est ailleurs.

Le gros du récit reste identique et le fond est donc inchangé. C'est la forme qui diffère et le temps de présence de certains personnages change du tout au tout. Shinkichi, jeune rescapé de l'île d'Odo devient le protagoniste principal et remplace Ogata. Il cherche avant tout à venger son frère et se heurte au professeur Yamane qui est un protecteur du monstre. Le paléontologue qu'il est ne peut se résoudre à détruire cette divinité malgré tous les dommages qu'il engendre sur son passage.

Il y a d'ailleurs une intrigue secondaire à ce sujet totalement absente du film qui place une mystérieuse organisation de soutien tokyoïte au monstre luttant pour sauvegarder le dinosaure en menaçant frontalement les héros. Ce sont des fanatiques que devra démasquer Shinkichi. C'est une bonne idée et le traitement est appréciable d'autant que la résolution est inattendue.

D'autres caractérisations de personnages un peu différentes sont à noter tout comme l'apparence de Godzilla qui est fluorescent et apparaît avec une vache dans la gueule. C'est donc un carnassier et cela légitime encore plus la violence qu'il exprime aux humains. L'approche géopolitique est plus frontale. Chez Kayama on craint clairement une opposition nucléaire entre les deux blocs qui sont quasiment nommés ( "A" et "S") et l'écrivain en profite même pour briser le quatrième mur et s'adresser au lecteur pour lui rappeler que la guerre est toujours d'actualité. Il nous fait également une comparaison étonnante pour illustrer la puissance de Godzilla. C'est audacieux.

Il y a également dans le livre une transcription du second film Le retour de Godzilla également écrite par Kayama. Celle-ci est moins surprenante car plus académique et quasiment identique au métrage mais elle est tout de même présente et se lit sans déplaisir.

Nous pouvons remercier Ynnis Editions pour cette belle initiative qui peut constituer au demeurant une bonne porte d'entrée dans l'univers du kaiju eiga. Le livre est comme nous l'avons vu un outil promotionnel mais son impact sur la population japonaise aura été significatif. Une contribution à la mythologie de ce qui est certainement le plus grand monstre de l'histoire du cinéma !

Zoumion
7
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Créée

le 1 nov. 2022

Modifiée

le 20 juin 2022

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