"Nous sommes chacun les fragments de l'autre."

Ébloui par l'univers du Cyberpunk que l'on retrouve au cinéma, en BD et en jeu vidéo, j'ai décidé de revenir aux sources du mouvement à travers la littérature et plus précisément les œuvres du père fondateur, William Gibson. Gravé sur chrome contient la quasi-totalité des nouvelles du maître, la plupart écrites avant son premier roman, Neuromancien. Petite description des neuf tranches de vie futuriste que l'on peut trouver dans le recueil:


Johnny Mnemonic: Sans doute la nouvelle la plus célèbre de Gibson car adaptée au cinéma avec Keanu Reeves dans le rôle-titre. Cette première aventure présente toutes les ficelles du travail de l'écrivain: personnages complètement paumés dans un monde qui les dépasse et dont pourtant ils maîtrisent les rouages essentiels, surabondance des matières synthétiques, des précisions techniques et autres descriptions auxquelles il est parfois difficile de comprendre quelque chose mais qui sont vitales pour l'ambiance, univers sombre et apparemment sans espoir... Le tout parait encore trop fouillis, l'histoire n'est pas maîtrisée de bout en bout et on débarque, ressent et quitte le monde décrit dans cette nouvelle sans vraiment se sentir impliqué. La faute sans doute au manque de profondeur des personnages. Intéressant mais assez aride.


Fragments de rose en hologramme: premier chef-d’œuvre du bouquin. Poème cyberpunk qui, comme le laisse présager le titre, allie la fulgurance technologique à la passion humaine. Ode à l'amour évanescent, cette très courte nouvelle présente la technologie comme un moyen d'explorer les débris d'un bonheur passé. La femme aimée, insaisissable, imprègne les pensées du personnage d'une douleur universelle. Simplement magnifique.


Le genre intégré: Écrit en collaboration avec John Shirley, nous avons affaire à une histoire fantastique et non pas SF, bien que le héros garde cet aspect paumé qu'ont la plupart des personnages de Gibson. Intéressant, surtout pour la réflexion au sujet de notre place dans la société, mais pas mémorable.


Hinterland: De la bonne science-fiction, cyberpunk spatial avec une pointe de fantastique. Un peu lourd par moment, la conclusion offre pourtant des perspectives lovecraftiennes qui mettent en lumière les dangers de la soif d'exploration du genre humain, condamné à trouver l'enfer à force de rechercher un paradis décidément bien perdu.


Étoile rouge, blanche orbite: Écrit avec Bruce Sterling. Une petite histoire bien menée, avec des personnages forts qui ont le mérite d'exister en peu de pages, et un univers spatial qui semble crédible et bien documenté, mais qui n'apporte rien à l’œuvre générale des deux auteurs et qu'on oublie assez vite.


Hôtel new rose: Une autre nouvelle adaptée au cinéma (même si le résultat est peu connu). L'idée est très intéressante mais son exploitation est un peu frustrante tant on aurait aimé en savoir plus. Dans la lignée de Johnny Mnemonic mais en plus maîtrisé et avec des personnages attachants.


Le marché d'hiver: Deuxième chef-d’œuvre du livre ! Suite logique du canevas de Johnny Mnemonic et de Hôtel new rose mais avec toute la poésie de Fragments de rose en hologramme. Encore un amour impossible: le héros se lance dans l'exploration de l'univers mental d'une jeune femme brisée à des fins artistiques (dans ce futur, on vous vend effectivement des délires neuronaux comme s'il s'agissait d'un CD ou d'un DVD) et finit par créer un lien avec cette dernière qui le bouleversera. Innovant et magistral.


Duel aérien: En collaboration avec Michael Swanwick. Plongée passionnante dans un loisir futuriste (des duels d'avions miniatures plus ou moins holographiques) proche du jeu vidéo et auquel s'adonnent tous les reclus d'une société aussi ingrate qu'indifférente. Lorsque la volonté du protagoniste de vaincre le meilleur joueur (un vétéran de guerre handicapé) tourne à l'obsession, les espoirs de la vie réelle semblent devoir s'effacer à jamais.


Gravé sur chrome: pot-pourri parfait de tous les thèmes de Gibson, ce qui donne une nouvelle aussi riche que convenue au niveau de la psychologie des personnages avec le retour du trio qu'affectionne l'écrivain: le héros, son meilleur pote et sa copine qui débarque de nulle part et vient tout bouleverser. De grande qualité malgré tout.


Voilà comment se termine mon premier voyage avec Gibson. J'ai découvert un écrivain souvent fouillis, parfois poétique, toujours en adéquation avec les tourments de notre propre époque, projetés avec brio dans les ruines de ce futur nostalgique.

Amrit
8
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Créée

le 23 avr. 2011

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5 j'aime

Amrit

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