Entre pauvres types et grands écrivains

Lovecraft est présenté en France par Jacques Bergier, croqué par Hergé dans "Vol 714 pour Sydney" (le professeur Mik Ezdanitoff en télépathie avec une soucoupe volante) dans le numéro 1 de la revue Planète dirigée par Louis Pauwels. Avec Bergier, ils écrivent en 1960 "Le matin des magiciens" et lancent en France la mode OVNI venue aussi des américains. Lovecraft nous arrive donc en traduction et par deux escrocs prétendant être des initiés. Bergier sera pris emberlificoté dans ses mensonges et Pauwels ayant écrit dans le "Figaro Magazine" : "cette Gauche qui salit nos enfants" sous Mitterrand, sera démasqué tenancier d'un cinéma de quartier porno de Paris... Plus tard, Lovecraft qui inventait tout, ou presque (nous verrons ses sources), fut associé à la mode New Age, à l'ufologie de foire éditée principalement par Robert Laffont en France. Et Lovecraft se retrouvera lié aux autres mythes modernes, d'inspirations obscures : les vampires, l'ufologie en tous genres, tant de théories complotistes diverses, infâmes et avariées. On retient alors de Howard Phillips Lovecraft le granguignolesque du mythe de Cthulhu, le "Necronomicon" de l'arabe dément Abdul al-Hazred, la cité d'Arkham la maudite, etc. Il était temps que paraisse enfin une nouvelle traduction digne et qu'une analyse sérieuse de cet auteur américain du fantastique soit intégrée. Chose faite ici. Lovecraft ne fut jamais ce prétendu poète maudit, mort mystérieusement trop jeune à 46 ans. Rien n'est vrai. Versé dans l'ésotérisme satanique de Blavatsky, son mariage fut un échec et sa femme Sonia Greene brula toute la correspondance de Lovecraft, autant dire que la perte est monumentale. Se gavant de crèmes glacées, bon plaisantin, il meurt bêtement d'un cancer de l'intestin, forcément. Quand Stephen King affirme que Lovecraft est un immense écrivain, le croit-il vraiment ou se moque-t-il du monde lui aussi ? Car enfin que nous apporte fondamentalement l'oeuvre de Lovecraft ? Des thèmes inquiétants comme l'inutilité absolue de l'humanité et de toute humanité, le XX siècle d'extermination de masse passe mal de fait en le lisant maintenant. La haine raciale, notamment des esquimaux (terme raciste, il faut dire Inuits), le karma incompris de la loge théosophique d'Annie Besant, la décadence de la civilisation occidentale par "les autres races", un évolutionnisme qui n'est pas de Spengler mais tout simplement issu de "La doctrine secrète" de Helena Blavatsky. l'avilissement de notre espèce par "un sang corrompu", les "entité barbares", la supériorité de la civilisation anglo-saxonne blanche (dixit), la malédiction des juifs, etc.
Pourtant quelques nouvelles sont de véritables chefs d'oeuvres littéraire. Mais a quel prix devons-nous supporter toute le reste... Comme disait Malraux sur Céline, "un grand écrivain, un pauvre type". Michel Houellebecq lui emboite le pas, sans jamais l'analyser dans ses sources et sa vie. Il a surfé sur les apparences faciles, technique parfaitement maitrisée chez lui avec internet (ses copiés/collés sont de grands classiques). Lovecraft vécut heureux, joyeux, blagueur, et Houellebecq avec sa théorie des particules, reste élémentaire.