1959, 1961 et 1964 : trois repères temporels dans une même ville, Harlem, sertie au cœur d'une autre, New York, pour un roman à la parfaite fluidité. Le livre de Colson Whitehead est un bijou et un vrai faux polar à tiroirs qui procure autant de plaisir, par la précision et le détail de ses intrigues successives, que certains films hollywoodiens des années 40 et 50, signés Preminger, Mankiewicz ou Huston. Au centre de Harlem Shuffle : Ray, le responsable d'un magasin d'ameublement, a priori modeste mais socialement ambitieux. Sa relation avec un cousin peu recommandable, en marge de la loi, constitue une source d'ennuis mais aussi éventuellement de profit, pour le commerçant honnête jusqu'à un certain de point. En soi, le récit minutieux des mésaventures de Ray, plein de vie et d'humour, est déjà un plaisir de gourmet mais l'auteur les intègre de manière impressionniste dans une évocation saisissante du Harlem de cette époque et le contexte de racisme exacerbé qui conduit aux émeutes de 1964. Un air du temps que Colson Whitehead encapsule avec maestria, dressant au passage une galerie de portraits de personnages souvent hauts en couleur avec toutes les nuances du noir. Seul regret : que les femmes soient réduites à la portion congrue dans cette œuvre délicieusement immersive.