Heat 2
7.9
Heat 2

livre de Michael Mann et Meg Gardiner (2022)

En 2021, Quentin Tarantino signait son premier livre avec Once Upon a Time in...Hollywood. Un an plus tard, Michael Mann lui emboite le pas avec Heat 2. On était moins surpris par le geste de Tarantino, le cinéaste obsessionnel a souvent répété que chacun de ses films n'était qu'un morceau d'un univers plus large. Concernant Mann, l'énorme travail de recherche était notoire mais collait plus à l'image du technicien pointilleux, moins à celle d'un narrateur enivré. Pourtant, l'envie était là depuis très longtemps. Qu'il ait franchi le pas avec ce qui représente le zénith de sa carrière est une grande expérimentation, inattendue pour nous mais pas inhabituelle pour un avant-gardiste comme lui. Devant l'ambition, la masse d'efforts et le temps que réclament cette aventure, Mann fait équipe avec l'écrivaine Meg Gardiner pour que l'univers de Heat soit aussi mémorable à la page qu'à l'image. Alors ? Vivement le film !


À la fois suite, préquelle et spin-off, l'intrigue se déploie sur 700 pages réparties en trois temporalités. L'une d'elle embraye juste après la mort de Neil McCauley (1995), alors que l'inspecteur Vincent Hanna traque Chris Shiherlis, dernier membre de la bande de braqueurs encore en vie. Puis, on rembobine jusqu'en 1988 à Chicago. On retrouve un McCauley déjà en cheville avec Shiherlis, tandis que Hanna enquête sur une affaire de homejackings particulièrement brutaux. Les deux frères ennemis sont à la fois très proches de ceux que l'on connaît mais encore en gestation. À l'époque du tournage de Heat, Michael Mann avait dressé une biographie à chacun de ses personnages pour permettre une meilleure implication de ses acteurs. On découvre ces éléments au gré de la lecture ; certains lèvent le voile sur leur jeunesse, d'autres sont de nature à renverser les cartes et changer notre regard sur eux. Et puis il y a un nouveau venu, Otis Wardell, mixture hautement combustible associant la perfidie d'Hannibal Lecter au sadisme de Waingro (le seul vrai salopard de Heat). Par son entremise, Michael Mann sonde les bas fonds de l'âme humaine, la pourriture suintante qui se répand sans prévenir, à même de perturber la marche des uns et l'équilibre moral des autres. Enfin, le récit se déplace aux débuts des années 2000, quand le virtuel devient le nouveau terrain de jeu pour le commerce, entremêlant encore plus les concepts de légalité et de corruption.


Le style témoigne des connaissances emmagasinées par Mann auprès de policiers, d'ex-détenus ou braqueurs. L'authenticité transpire à chaque page, dans la peinture psychologique de ses personnages, derrière les rouages d'un hold-up, la préparation d'une embuscade et le chaos d'une fusillade. L'écriture concise de Meg Gardiner facilite grandement la projection dans cette grande fresque, qui rappelle les meilleurs Don Winslow. La collaboration est une réussite en cela qu'elle fait la synthèse des grandes dynamiques dans le cinéma de Mann. Les "héros" de Heat bien sûr, le code d'honneur à double-tranchant du Solitaire, le questionnement existentiel derrière Collateral, la romance dramatique de Miami Vice et l'armature technologique de Hacker. On a même droit à un petit clin d'œil à The Insider. Dernier dénominateur faisant de Heat 2 un Michael Mann chimiquement pur, l'action. L'ouvrage procure d'énormes poussées d'adrénaline, d'un braquage mouvementé dans un motel désaffecté à un sommet de tension à la frontière Mexicaine et enfin (surtout ?) une fusillade au beau milieu d'une autoroute à Los Angeles. Trois morceaux superbement transformés par Meg Gardiner, qui nous amène avec son dernier acte au paroxysme de l'immersion alors que les destinées se rejoignent dans un tourbillon de tôles froissées et d'impacts de balles. C'est sûr, on veut voir ça sur grand écran.


On est déjà très attaché au duo Hanna/McCauley. Moins à Chris Shiherlis. Il serait d'ailleurs intéressant de voir ce qu'en pensera un lecteur tout à fait étranger au premier film. Le parcours de ce braqueur exilé rappelle beaucoup les chemins empruntés par le mélancolique Sonny Crockett ou l'indomptable Nicholas Hathaway. Son voyage ne manque ni de charme ni de bons moments. Les meilleurs sont généralement le plus intimistes, quand Chris s'interroge sur la conduite à tenir (raviver la flamme ou tenter le diable ?). On apprend à mieux le connaître, à respecter son attitude chevaleresque (kamikaze ?). Mais même en ajoutant la thématique d'un monde de plus en plus immatériel avec l'avènement d'internet (que Heat 2 "prophétise" rétrospectivement), cette partie n'est pas aussi stimulante que les autres. Elle n'en trouve pas moins sa place dans le livre et rejoint les lignes de force du cinéma de Michael Mann.


L'écriture a toujours été présente chez le réalisateur. Il a scénarisé et coscénarisé la quasi-totalité de ses films. S'il n'est pas crédité sur les deux seules exceptions de sa carrière - Collateral et Hacker - nombre de dialogues sont indéniablement signés de sa plume. Aujourd'hui, Mann continue à travailler (la série Tokyo Vice, Ferrari) mais il ne peut plus obtenir autant de largesses des majors. Écrire lui offre cette liberté que l'industrie Hollywoodienne ne lui accorde plus trop. Et comme pour Tarantino, certaines histoires sont trop personnelles et trop fortes pour ne pas les partager avec son public, sans coupes ni compromis. Il passe un cap avec Heat 2 et grâce au talent de Meg Gardiner vient probablement de réactiver la machine à fantasmes. Putain oui, vivement le film.

ConFuCkamuS
8
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Créée

le 18 juin 2023

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