« Histoire de l’œil » possède une réalité malsaine, puisque Bataille y exerce une littérature de transgression et de fascination pour la cruauté. Il ira même jusqu'à inverser le mouvement surréaliste, Bataille privilégiant l'ignoble, « la valeur morale du bas et le mouvement induit par les racines et la pourriture » (citation de l'article : « Le langage des fleurs : Bataille, 1970 », I, p.179)


Georges Bataille (1897-1962), de son réel nom : Georges Albert Maurice Victor qui, pour publier cette oeuvre avec une confidentialité, se crée un pseudonyme : Lord Aunch (qui signifie : Dieu des chiottes). Une volonté de confidentialité qui permet de couvrir ses goûts profanateurs car c'est la part maudite et honteuse de son œuvre. Le titre évoque l'oeil comme étant un organe sexuel à part entière. Les qualitatifs du fond de l'Histoire de l'oeil sont : « thanatrocentrisme », nécrophilie, effroi, déni, rite, sexe, érotisme, socialisation, débauche sociale, souillure, urine, l'infâme et la transgression. La narration est d'un registre fétichiste, symbolique, romanesque, à la fois macabre et d'une vitalité débordante d'étrangeté.
Il a écrit sous d’autres formes, pourtant ceci est le premier roman publié en 1928, chez Jean-Jaques Pauvert. Historiquement parlant, ce sont les années folles (1920 à 1929), qui s'achèvent par l'arrivée de la Grande Dépression. Histoire de l’œil a été écrit 5 ans après la mort de Proust (Proust : « Le Temps retrouvé » édité en 1928). L'on suppose une influence car les personnages bataillens rappellent l'oeuvre proustienne. Dans « Histoire de l'oeil » Simone évoque Simonet (nom de famille d’Albertine dans « A la recherche du temps perdu ») et Marcelle, prononcé une seule fois, par Albertine évoque le prénom de « A la recherche du Temps perdu ».
Autre influence pour ce texte : Lautréamont et Sade. Pour Bataille, Sade est un contemporain de Proust et Freud. Dans la configuration sadienne Simone est le pôle actif/sadique ; Marcelle, sa victime, le pôle masochiste. Leurs initiales (S&M). Hasard ? Non. Un autre personnage sera un manifeste sadien dans cette œuvre, dans la séquence finale : Sir Edmond (l’anglais), énigmatique maître de cérémonie. Une complicité "anagrammique" qui dégage une chose immonde (voir page 69). Il est le pâle reflet du divin marquis de Sade.


L'action se situe en 1922 (année où meurt Proust), en Gascogne et l'archevêché de la région où est sensé se dérouler « l’Histoire de l’oeil ». Il réside une double lecture au sein du texte de fiction, dont deux parties où deux adolescents se donnent à des jeux pervers construits autours d'une sémantique métaphorique dans laquelle l'érotisme prend tout son sens. Ses idées qui paraissent violentes, le sont moins grâce à son traitement de l'idée avec goût et acuité.
Première partie, du chapitre I à VIII, un triangle est formé par Simone, Marcelle et le narrateur. (sous l’égide de Proust). Du ch. IX-XIII  : les protagonistes voyagent en compagnie de Sir Edmond, après la pendaison de Marcelle. (relèvent d’une lecture du marquis de Sade).


Extrait de texte : «À d'autres l'univers paraît honnête. Il semble honnête aux honnêtes gens parce qu'ils ont des yeux châtrés. C'est pourquoi ils craignent l'obscénité. Ils n'éprouvent aucune angoisse s'ils entendent le cri du coq ou s'ils découvrent le ciel étoilé. En général, on goûte les "plaisirs de la chair" à la condition qu'ils soient fades.
Mais, dès lors, il n'était plus de doute : je n'aimais pas ce qu'on nomme "les plaisirs de la chair", en effet parce qu'ils sont fades. J'aimais ce que l'on tient pour "sale". Je n'étais nullement satisfait, au contraire, par la débauche habituelle, parce qu'elle salit seulement la débauche et, de toute façon, laisse intacte une essence élevée et parfaitement pure. La débauche que je connais souille non seulement mon corps et mes pensées mais tout ce que j'imagine devant elle et surtout l'univers étoilé...»


En somme, les mots sont d'une pauvreté pour exprimer ce que dégage cette lecture, "dévorure". Âme sensible, s'abstenir. Les conséquences sont inqualifiables, d'une singularité délectable....

zara
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le 20 avr. 2015

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zara

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